duminică, 31 mai 2020

CLAUDE MONET (1840-1926)

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Claude Monet

Claude Monet
Peintre français (Paris 1840-Giverny, Eure, 1926).
Directement lié aux origines de l'impressionnisme avec sa toile Impression, soleil levant, Claude Monet domine ensuite ce mouvement qui introduit la modernité dans l'art du xixe siècle. Surnommé par Manet le « Raphaël de l'eau », il laisse une œuvre immense.

1. ENFANCE EN NORMANDIE

Second fils d'Adolphe Monet, négociant en tissu, et de Louise Justine, chanteuse, Claude Monet grandit au Havre, où sa famille s'installe en 1845 chez Marie-Jeanne Lecadre, une demi-sœur de son père. Celle-ci va encourager la vocation du jeune homme, qui s'exerce d'abord à la caricature.
À la mort de sa mère, en 1858, Monet quitte le lycée, qui lui a « toujours fait l'effet d'une prison », et vend ses premiers dessins. C'est à cette occasion qu'il fait la rencontre décisive du peintre havrais Eugène Boudin, le « roi des ciels » comme l'appelle Charles Baudelaire. Avec lui, il va travailler en plein air et saisit alors « ce que [peut] être la peinture ». Du Néerlandais Johan Barthold Jongkind, qu'il rencontre en 1862, il dira aussi : « C'est à lui que je dois l'éducation définitive de mon œil. »

2. CLASSES EN ALGÉRIE

Avec l'appui de son père, Monet arrive à Paris en 1859 pour y étudier la peinture. Il n'entre pas aux Beaux-Arts, mais à l'Académie suisse, et se lie à Camille Pissarro. En 1861, il part en Algérie, dans le premier régiment de chasseurs d'Afrique. Il y fait une expérience de la lumière et de la couleur qui marquera ses recherches futures.
Atteint de pleurésie, il revient à Paris en 1862 et entre alors dans l'atelier du peintre suisse Charles Gleyre, où il travaille avec Alfred SisleyAuguste Renoir et celui qui deviendra son proche ami, Frédéric Bazille. Grâce à ce dernier, il découvre le village de Chailly, près de Barbizon, et retourne en Normandie (Honfleur, Sainte-Adresse) ; au Salon en 1865, il expose deux marines, qui sont remarquées par la critique.

3. EXCLUSION DU SALON

Dans la seconde moitié des années 1860, Monet se partage entre la région parisienne et la Normandie. Il travaille beaucoup (Camille, ou femme à la robe verte, 1866 ; Femmes au jardin, 1867 ; Jardin à Sainte-Adresse, id. ; Bain à la Grenouillère, 1869 ; la Plage de Trouville, 1870), en développant un style proche de celui d'Édouard Manet, avec une palette aux couleurs chaudes et éclatantes. La lumière apparaît alors en taches sans que le dessin en soit encore affecté.
À mesure que son style s'affirme, les Salons se ferment à lui et, en 1870, aucune de ses toiles n'est acceptée. Sa situation financière devient préoccupante, d'autant plus qu'en 1867 celle qui est son modèle et sa maîtresse, Camille Doncieux (qu'il épousera en 1870), a mis au monde un enfant, et que son père, depuis lors, lui coupe les vivres.

4. DE LONDRES À ARGENTEUIL

Pour échapper à la guerre franco-allemande, Monet se rend à Londres. Il y fait la connaissance du marchand Paul Durand-Ruel, qui commence à lui acheter ses toiles.
En 1872, il s'établit à Argenteuil, où il rejoint, entre autres, Manet et Renoir. Le groupe impressionniste est alors en gestation. Monet, qui a aménagé un bateau-atelier, s'efforce de capter les instantanés lumineux que lui livrent les rives de la Seine et la campagne environnante dans leur réalité changeante : outre la toile fondatrice, Impression, soleil levant (1872), probablement peinte au Havre, il peint notamment Régates à Argenteuil (id.), Coquelicots (1873) et le Pont d'Argenteuil (1874.).

5. NAISSANCE DE L'IMPRESSIONNISME

En 1874, le photographe Nadar prend l'initiative d'accueillir dans ses ateliers de Paris, devenus libres, la première exposition du groupe de peintres indépendants auquel appartient Monet, et qui étaient systématiquement refusés aux Salons officiels. Parmi 165 toiles, 8 sont de Claude Monet, dont Impression, soleil levant. Louis Leroy (1812-1885), critique au journal satirique le Charivari, l'évoque en ces termes : « Que représente cette toile ? Voyez au livret. Impression, soleil levantImpression j'en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans. »
Le journaliste avait intitulé son article : « L'exposition des impressionnistes », et le nom resta au groupe dont Monet apparut d'emblée comme le chef de file.

6. LA PÉRIODE DE VÉTHEUIL

Ainsi, l'année 1874 marque l'apogée de l'impressionnisme comme mouvement. En dépit des railleries de la critique, les peintres qui s'en réclament tiendront encore six expositions jusqu'en 1882. Monet prend part à celles de 1876, 1877, 1879 et 1880. Mais, les acheteurs étant très rares et les prix des toiles très bas, il ne peut vivre sans l'aide matérielle de ses amis Ernest et Alice Hoschedé.
Manet, qui lui achète des tableaux, lui permet aussi de s'installer en 1878 à Vétheuil, dans une boucle de la Seine. Aux vues de Paris (dont les différentes versions de la Gare Saint-Lazare, 1876-1877) succèdent alors celles de ce village, où Camille meurt en 1879, après avoir accouché de Michel, leur second fils.
Avide de reconnaissance et de réussite, Monet se présente de nouveau au Salon officiel de 1880, qui lui prend une toile, fort mal exposée. Cette année-là est aussi celle de sa première exposition individuelle, organisée par la revue la Vie moderne. Grâce aux achats que continue de faire Durand-Ruel, il peut renoncer aux Salons et faire face aux frais de déménagement, d'abord à Poissy en 1881, puis à Giverny en 1883, avec Alice Hoschedé, ses six enfants et les deux siens.

7. LA PLÉNITUDE DE GIVERNY

Monet fera de Giverny le havre de paix et de bonheur dont il a toujours rêvé et dont témoignent maints tableaux où les filles Hoschedé figurent comme modèles. Dans les années 1880, il entreprend de nombreux voyages, dans le Midi (1883-1884, puis 1888), aux Pays-Bas (1886), à Belle-Île (1886), dans la vallée de la Creuse (1889). La Normandie lui inspire aussi de célèbres séries (Meules, 1888-1891 ; Peupliers au bord de l'Epte, 1891-1892 ; Cathédrale de Rouen, 1892-1898).
Mais Monet ne cesse de penser à Giverny, dont il peut enfin acheter la maison en 1890, et surtout à Alice, qu'il épouse en 1892, un an après la mort d'Ernest Hoschedé. S'il voyage encore en Norvège, à Londres et en Italie, sans oublier la Normandie (où il se met à la nature morte), c'est son jardin qui sera son ultime source d'inspiration : avec la série des Nymphéas (1898-1926), alchimie de plantes, de reflets d'eau et de lumière, l'impressionnisme confine à l'abstraction.
À Giverny, Monet accueille de nouveaux admirateurs, tel Clemenceau, qui l'amènera à léguer ses Nymphéas à la France. Il vend désormais ses œuvres à des prix sans précédent et fait son entrée au Louvre. Mais il voit partir des êtres chers : Pissarro (1903), Renoir (1919), sa femme Alice (1911), son fils Jean (1914), dont la veuve, Blanche Hoschedé-Monet, est celle qui le veillera lorsque lui-même mourra d'épuisement.

8. CITATIONS

« La couleur est mon obsession quotidienne, ma joie et mon tourment. »
Claude Monet
« Le motif est pour moi chose secondaire. Ce que je veux reproduire, c'est ce qu'il y a entre le motif et moi. »
Claude Monet
« Je ne connais pas M. Monet, je crois même que jamais auparavant je n'avais regardé attentivement une de ses toiles. Il me semble cependant que je suis un de ses vieux amis. Et cela parce que son tableau me conte toute une histoire d'énergie et de vérité. »
Émile Zola (Mon Salon, 1866), après avoir découvert la toile Camille, ou femme à la robe verte.
(enc.Larousse)

HENRI MATISSE (1869-1954)








Henri Matisse

Peintre français (Le Cateau-Cambrésis 1869-Nice 1954).


PREMIERS MAÎTRES ET PREMIÈRES ŒUVRES

Unanimement considéré comme l'un des plus grands artistes du xxe s., Henri Matisse échappe à toute classification. Il est, comme Braque et Derain, l'un des promoteurs du fauvisme, mais, à partir de cette révolte de la couleur, son art est une réflexion sur la ligne, sur l'équilibre, sur la synthèse des formes.
Fils d'un marchand de grains du Cateau, Matisse commence des études juridiques, passe sa capacité en droit à Paris (1888), entre comme clerc chez un avoué de Saint-Quentin (1889) ; immobilisé pendant un an par les complications d'une appendicite, il découvre le plaisir de peindre. Sa mère, aquarelliste amateur, lui a offert une boîte de peinture et, guidé par la lecture d'un traité de Frédéric Goupil, le jeune homme s'amuse à copier des chromos. Son premier tableau Nature morte avec des livres (musée Matisse, Nice), est daté de juin 1890. Matisse a trouvé sa vocation et, délaissant le droit, s'inscrit à l'académie Julian pour préparer l'examen d'entrée à l'École nationale supérieure des beaux-arts. Dispensé de celui-ci, grâce à l'intervention de Gustave Moreau, dans l'atelier duquel il travaille à partir de 1892, il gardera toujours une profonde reconnaissance à ce maître, dont l'enseignement éveille les talents sans les contraindre. Rouault, Charles Camoin (1879-1965), Henri Evenepoel (1872-1899), Henri Manguin (1874-1949) sont élèves de cet atelier et bientôt aussi Marquet, que Matisse a rencontré aux cours du soir de l'École des arts décoratifs.
Ces années d'études montrent de sages recherches : copies au Louvre (Fragonard, Delacroix, Chardin surtout), paysages exécutés en plein air en compagnie de Marquet et tableaux d'atelier acceptés au Salon de la Société nationale des beaux-arts, où l'État achète en 1896 la Liseuse pour le château de Rambouillet (aujourd'hui musée d'Art moderne, Troyes). Mais, à partir de cette date, la révélation de l'impressionnisme (rencontre à Belle-Île d'un artiste ami de Claude Monet, John Russell [1858-1931] ; découverte du legs Caillebotte au musée du Luxembourg en 1897) et l'émerveillement de la lumière méridionale (séjour en Corse, puis à Toulouse, d'où est originaire sa jeune épouse, Noémie Parayre) orientent l'art de Matisse vers de nouveaux intérêts. Celui-ci quitte les Beaux-Arts après que le très académique Fernand Cormon eut remplacé Moreau (?-1898) et fréquente l'académie Carrière, où il se lie avec Derain, qui lui présentera Vlaminck. En 1899, l'achat des Trois Baigneuses de Cézanne (qu'il léguera en 1936 à la Ville de Paris), celui d'une Tête de garçon de Gauguin et d'un dessin de Van Gogh révèlent ses dilections. Dans quelques toiles, tel l'Homme nu (1900 collection Pierre Matisse, New York), Matisse semble s'orienter, comme Rouault, vers un expressionnisme issu des études préparatoires de Moreau, traitées au couteau en grands plans. D'autre part, il a découvert chez son maître une orgie de couleurs (Pasiphaé, aquarelle, musée Gustave Moreau) qu'à son tour il organisera selon ses dons personnels ; « Vous allez simplifier la peinture », avait prédit Moreau.
Avant d'être vraiment lui-même, il a cependant encore une étape à franchir. Depuis 1901, il expose au Salon des indépendants, présidé par Paul Signac, dont il a médité le texte paru en 1899 dans la Revue blanche et consacré au néo-impressionnisme. Retrouvant cet artiste, accompagné d'Henri Edmond Cross (1856-1910), à Saint-Tropez en 1904, il expérimente le pointillisme. L'œuvre majeure de cette période, Luxe, calme et volupté (collection privée), est exposée au Salon des indépendants de 1905, où se tiennent des rétrospectives Seurat et Van Gogh. La révélation du génie transcendant un système chez l'un et niant toute contrainte chez l'autre est complétée au cours de l'été par celle des Gauguin de Tahiti appartenant à Daniel de Monfreid (1856-1929), auquel Matisse et Derain rendent visite pendant leurs vacances à Collioure.

UN DES CHEFS DE FILE DU FAUVISME

Assimilant toutes ces influences, le peintre s'éloigne du divisionnisme : la touche s'élargit, les tons s'intensifient, la ligne s'assouplit. Cette évolution aboutit aux violences colorées de la Femme au chapeau (1905, collection privee ;, États-Unis) 1905 la Joie de vivre (fondation Barnes, Merion, États-Unis.
Cependant, les outrances élémentaires du fauvisme n'ont qu'un temps pour Matisse ; ses épousailles avec la couleur s'accompagnent bientôt d'une volonté essentielle d'organisation des tons dans l'espace. « Je cherche des forces, un équilibre de forces », note-t-il à propos de la Desserte rouge (1908, musée de l'Ermitage Saint-Pétersbourg), où se trouvent réunis tous les sortilèges de l'arabesque, qui sera l'une des clefs de son art.
Contrairement aux impressionnistes, Matisse, comme d'ailleurs les autres fauves, est très vite accepté par des galeries (Berthe Weill, 1902 ; Druet, 1903 ; Ambroise Vollard, 1904 ; Bernheim-Jeune, 1910). En 1908, Paul Cassirer à Berlin, Alfred Stieglitz à New York lui consacrent des expositions. Sa gloire est rapidement internationale. Parmi ses premiers amateurs, certains sont français, comme Marcel Sembat et Paul Jamot, d'autres américains, comme les Stein (acquéreurs en 1905 de la Femme au chapeau). Sarah Stein, aidée du peintre Hans Purrmann, qui subit depuis son arrivée à Paris l'ascendant de Matisse, incite celui-ci à fonder une école, où, de 1907 à 1911, il forme de brillants élèves étrangers : le Norvégien Per Krohg (1889-1965) le Suédois Nils Dardel (1888-1943). À partir de 1908, le marchand russe Sergueï Ivanovitch Chtchoukine achète à Matisse trente-quatre toiles, parmi lesquelles les panneaux de la Danse et de la Musique (1909-1910, à l'Ermitage), dont il va sur place, en 1911, surveiller l'installation.

VOYAGES, RENCONTRES ET EXPÉRIENCES

Les voyages (Allemagne, Italie, Maroc, Russie, États-Unis, etc.) apportent à Matisse un enrichissement visuel toujours renouvelé. Depuis le séjour à Biskra (1906), dont le souvenir est à l'origine du plus expressionniste de ses tableaux (le Nu bleu, 1907, musée d'Art de Baltimore), jusqu'au séjour à Tahiti (1930), dont il transmutera les impressions dans la Danse de la fondation Barnes à Merion, la révélation lui est « toujours venue de l'Orient ». Ce goût, qu'avait éveillé en 1903 l'exposition d'art musulman au pavillon de Marsan, à Paris, s'irradie dans les « Odalisques » de 1921 à 1927. Mais, auparavant, le cubisme, dont le nom est né de l'une de ses boutades, effleure l'art de Matisse, qui, réformé, se trouve au début de la guerre à Collioure, où séjourne également Juan Gris (1887-1927). Le portrait d'Yvonne Landsberg (1914, musée d'Art de Philadelphie) illustre cette volonté de tons neutres et de géométrie, mais les formes inscrites dans des schémas ovoïdes s'apparentent aux lignes des statues africaines, objets d'intérêt pour Matisse depuis 1906.
À partir de 1917, Matisse passe l'hiver à Nice, se préoccupant quelque temps de recherches plus abstraites sur l'espace et la musicalité : la Leçon de piano (1916 ou 1917, musée d'Art moderne, de New York) semble ainsi éterniser le tempo d'un « moderato cantabile ». Après la guerre, son style montre une détente, un retour aux délices ornementales auxquels ses conversations avec Renoir en 1918 ne sont pas étrangères. Peintures d'intimité où l'éclat des fleurs et des fruits concurrence celui des chairs féminines, les diverses Odalisques doivent beaucoup aux aquarelles des Femmes d'Alger, car Delacroix, de même qu'Ingres, est l'un des maîtres auxquels Matisse aime se référer. La Légion d'honneur en 1925, le prix Carnegie en 1927 consacrent le succès du peintre. Celui-ci revient à plus de rigueur par l'intermédiaire des découpages coloriés, qui lui servent à la préparation des grands panneaux de la Danse (1931-1933) commandés par le Dr Barnes. La sobriété s'accentue dans le Nu rose (1935, musée d'Art de Baltimore). Un incessant souci de l'interpénétration sans modelé des figures dans l'espace, du jeu sans épaisseur des couleurs et du contour aboutit aux différentes versions de la Robe rayée et de la Blouse roumaine.

ÉCRITS ET DERNIÈRES INVENTIONS

Malgré la guerre, la vieillesse, la maladie, le sens de l'invention plastique demeure intact chez Matisse, s'inspire des courbes d'un fauteuil rocaille, renoue dans les grands Intérieurs de 1946-1948 avec les paroxysmes colorés du fauvisme, cherche la symbiose de tous les arts dans l'ensemble décoratif de la chapelle du Rosaire des Dominicaines à Vence (1951). C'est toutefois à travers les grandes gouaches découpées follement évocatrices de la danse ou du repos, de la femme, de l'arbre ou de la fleur que Matisse atteint à la fin de sa vie « encore plus d'abstraction, encore plus d'unité ».
Les mêmes préoccupations apparaissent dans ses sculptures, soixante-dix bronzes environ qui, eux, toutefois, s'attaquent de front aux problèmes de l'expression volumétrique (ainsi avec la série des bustes de Jeannette, 1910-1913). De même dans ses dessins et ses gravures (fort nombreux), ses illustrations de livres : dix-sept en tout, parmi lesquelles les Poésies de Mallarmé (1932) les Lettres de la religieuse portugaise (1946) et le texte intitulé Jazz, magistralement accompagné de papiers découpés (1947). Outre les réflexions incluses dans ce dernier album, Matisse a donné différents textes, repris dans le recueil Écrits et propos sur l'art édité en 1972.
Tout au long de sa carrière, les mêmes thèmes s'imposent : fenêtres ouvertes, femmes indolentes, univers de paresse totalement antithétique de son créateur et, avant tout, prétexte à la prospection du champ artistique. « Le travail guérit de tout » disait Matisse. L'œuvre du peintre, d'une apparente simplicité, « ce fruit de lumière éclatante » aimé d'Apollinaire, naît d'un labeur acharné, qui toujours cherche à témoigner de l'indicible sensation dont l'un de ses derniers tableaux porte le titre : le Silence habité des maisons.
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Larousse de la peinture

Matisse (Henri)

Peintre français (Le Cateau-Cambrésis, Nord, 1869  – Nice 1954).

Naissance d'une vocation

Fils d'un marchand de grain et destiné à lui succéder à la tête de son commerce, il fait ses études secondaires au collège de Saint-Quentin et suit les cours de la faculté de droit de Paris (1887-88). Clerc d'avoué dans une étude de Saint-Quentin (1889), il commence à peindre en 1890 (copies de chromos), au cours de la convalescence consécutive à une opération de l'appendicite. Il veut alors se consacrer davantage à la peinture, fréquente d'abord l'école Quentin-Latour, puis revient à Paris en 1892. Il s'inscrit à l'académie Julian pour préparer le concours d'entrée aux Beaux-Arts et suit les cours du soir de l'École des arts décoratifs, où il fait la connaissance d'Albert Marquet. Gustave Moreau le remarque alors qu'il est en train de dessiner et lui donne accès à son atelier (mars 1895) en le dispensant du concours d'entrée. Bénéfique, l'enseignement de Moreau (l'interprétation libre des maîtres anciens y tient une large place) aide Matisse à affirmer sa personnalité, et celui-ci entre en relation avec Rouault, Camoin, Manguin et le peintre belge Evenepoel.
   Ses premiers tableaux évoquent l'atmosphère feutrée et l'objectivité poétique des portraits de Corot (la Liseuse, 1895, Paris, M. N. A. M.), mais la fermeté de la composition révèle déjà une constante de son art. En 1896, il passe l'été à Belle-Île, en compagnie d'Émile Wéry, son voisin de palier, et il y rencontre l'Australien John Russel. Ami de Rodin, collectionneur d'œuvres d'Émile Bernard et de Van Gogh, Russel avait travaillé dix ans auparavant avec ce dernier et offrit à Matisse deux dessins de Vincent. Grâce à ces nouveaux contacts, le style de Matisse acquiert plus d'aisance et la palette s'éclaircit, d'abord prudemment (le Tisserand breton, 1896, Paris, M. N. A. M. ); la Desserte, 1897, coll. Niarchos, sur un thème de Chardin qu'il reprendra plus tard, présente une riche orchestration de couleurs, mais l'emphase décorative trahit sans doute encore l'influence de Gustave Moreau.
   Russel lui fait connaître Rodin (dont il s'inspirera peu après dans ses premières sculptures, d'une plasticité saine et expressive) ainsi que Camille Pissarro (qui lui montre les dangers de l'emploi excessif du blanc, défaut sensible dans la Desserte).

Avant le Fauvisme

En 1898, l'artiste se marie, fait un court séjour à Londres pour y contempler Turner et part pour la Corse : c'est le premier contact de Matisse avec un site méditerranéen et avec une lumière crue qui le conduit à monter sa palette. Les nombreuses études de paysages qu'il exécute dénotent une facture large, d'un Impressionnisme qui paraît vivifié par la leçon de Van Gogh (l'Arbre, 1898, musée de Bordeaux). D'août 1898 à février 1899, il est à Toulouse. Il y peint surtout des natures mortes qui portent la marque d'une influence divisionniste (Première nature morte orange, M. N. A. M., 1899), sans doute à la suite de la lecture de l'essai de Signac De Delacroix au Néo-Impressionnisme, publié dans la Revue blanche. Il quitte les Beaux-Arts après la mort de Moreau et s'installe en février 1899 au numéro 19 du quai Saint-Michel, son domicile jusqu'en 1907. En compagnie de Marquet, suivant les conseils de leur maître, ils alternent les études d'après nature (à Arcueil, au Luxembourg) et les interprétations d'œuvres anciennes. Un " préfauvisme " somptueux voit le jour à partir de 1899 à la faveur de natures mortes aux tons profonds — saturés — de bleus cobalt, de verts émeraude et d'oranges, de violets pourpres, à la faveur également d'anatomies féminines ou masculines exécutées notamment dans un petit atelier de la rue de Rennes où Eugène Carrière venait corriger et que fréquentaient Derain, Laprade, Puy, Chabaud. Ces études puissamment construites, où les masses sont simplifiées plastiquement, se ressentent des cours de modelage que le peintre suivait alors et étonnent ses compagnons par la hardiesse des raccourcis comme par la franchise des accords colorés (Nu à l'atelier, Londres, Tate Gal.). Malgré la modicité de ses moyens financiers, Matisse achète des estampes et des crépons japonais, un plâtre de Rodin et, chez Vollard, une étude de Baigneuses de Cézanne (Paris, Petit Palais), ainsi qu'une Tête de garçon de Gauguin : au moment où sa facture se distingue par son originalité, il a déjà pris connaissance de l'œuvre des novateurs de la fin du XIXe s. Il est pourtant contraint de travailler avec Marquet à la décoration du Grand Palais pour l'Exposition universelle de 1900, tan dis que sa femme tient une boutique de modes. En 1901, il expose au Salon des indépendants, et, la même année, à la rétrospective Van Gogh chez Bernheim-Jeune, Derain lui présente Vlaminck ; le Fauvisme prend ainsi peu à peu conscience de ses moyens et justifie ses origines. Mais c'est pourtant une période plus austère (à laquelle la pratique de la sculpture sous le signe de Rodin et de Barye n'est pas étrangère) qui prend place de 1901 à 1903 env. : la première période néo-impressionniste cesse, le coloris baisse d'un ton ; les surfaces, rigoureusement conçues en fonction du rectangle du tableau, obéissent à un rythme quelque peu cézannien (Notre-Dame en fin d'après-midi, 1902, Buffalo, Albright-Knox Art Gal.).

Matisse (Henri) (suite)

La période fauve

L'année 1904 est celle des expériences décisives. Après avoir exposé chez Vollard en juin (première exposition particulière), Matisse passe l'été à Saint-Tropez chez Signac et reprend le divisionnisme, cette fois-ci plus méthodiquement. La Terrasse de Signac à Saint-Tropez (1904, Boston, Gardner Museum) présente d'abord la somme des acquis précédents : mise en page japonisante (Mme Matisse pose en kimono), arabesques décoratives des tiges légères compensées par la stabilité du mur de la maison, poses de touches variées — de l'aplat au point. Cette économie supérieure dans la répartition des effets est le trait par excellence de l'art de Matisse et explique à quel point le divisionnisme systématique pouvait le contraindre. Luxe, calme et volupté, exposé aux Indépendants en 1905 et acheté par Signac (Paris, Orsay), révèle à cet égard un désaccord flagrant entre la ligne et la couleur. Mais le thème de la joie apollinienne, rayonnante sur la plénitude des formes et la nature apaisée, est significatif de l'évolution de Matisse. Le procédé divisionniste lui permet aussi de vérifier au plus près la qualité et la quantité sensorielles, émotives, de chaque touche de couleur sur le champ de la toile (Notre-Dame, 1904-1905, Stockholm, Moderna Museet). Fort de cette nouvelle expérience de 1905 à 1907, durant le court moment du paroxysme fauve, Matisse donne les interprétations les plus audacieuses, mais aussi les plus diverses, dans le paysage comme dans le portrait et la composition à figures. Il passe l'été de 1905 à Collioure, où le rejoint Derain, et réalise des tableaux où se marque le passage du divisionnisme à une touche plus large et plus variée, à l'emploi de couleurs libérées des contraintes du mimétisme (Marine, 1905, San Francisco Museum of Modern Art). La petite Pastorale (Paris, M. A. M. de la Ville) est un jalon précieux pour le développement de l'artiste : arabesque gracieuse encore soumise à un tracé coloré assez dense, palette éclairée mais relativement sobre, nus restitués par un contour sans raideur. La Fenêtre ouverte à Collioure (New York, coll. John Hay Whitney) et la Femme au chapeau (San Francisco, coll. Walter A. Maas), exposées au Salon d'automne de 1905, où leur est appliqué pour la première fois le qualificatif de " fauves ", témoignent d'une allégresse créatrice rare et d'une volonté de transposition qui, néanmoins, respecte l'identité du modèle. Mais, si un rythme assez décoratif tendait à l'emporter dans le paysage, le visage de femme, vert, ocre et mauve, offrait une vigueur expressive inédite, que l'on retrouve dans le Portrait à la raie verte (1905, Copenhague, S. M. f. K.) et dans la Gitane aux accents expressionnistes (1906, musée de Saint-Tropez). La fermeté de l'assise de ces figures, construites sur de larges plans aux timbres d'une profonde sonorité (vert, violet, indigo, bleu nuit), pouvait laisser pressentir une évolution en faveur d'un resserrement de la forme, d'une discipline de la touche, exploitée en 1905 par Matisse avec le maximum de liberté. Une nouvelle rencontre devait hâter cette orientation. À Collioure, l'artiste fréquente Maillol, qui lui fait connaître Daniel de Monfreid, chez qui il voit les derniers tableaux de Gauguin, et il commence à s'intéresser à l'art nègre (1906). Le rôle organisateur de l'aplat, assoupli par le jeu de l'arabesque à la fois décor et expression, va tenir désormais une grande place dans l'œuvre du maître. Cette tendance décorative s'affirme publiquement avec disposition, au Salon des Indépendants de 1906, de la grande composition le Bonheur de Vivre (Merion, Barnes Foundation), répertoire des thèmes et des formes des années à venir. La même année, il exécute 3 bois gravés et ses premières lithos, techniques d'esprit fort proche de celui qu'il inaugure en peinture, surtout en 1907 (Nu bleu, Baltimore, Museum of Art ; Luxe, première version et dessins au M. N. A. M. de Paris, seconde version au S. M. f. K. de Copenhague).

Définition d'une esthétique

Le Fauvisme a brûlé de ses plus beaux feux et Picasso peint les Demoiselles d'Avignon en 1907, année de la rétrospective Cézanne au Salon d'automne. Matisse fait maintenant figure, surtout aux yeux des collectionneurs étrangers (Stein, Chtchoukine, Morozov), de chef de file de la peinture française. En 1908, sur leurs instances, il ouvre dans son atelier parisien, rue de Sèvres, une académie, qu'Américains, Allemands, Scandinaves surtout fréquentent, et publie les Notes d'un peintre (25 déc. 1908) dans la Grande Revue — importantes pour la compréhension de son art. Si l'expression est le but à atteindre, il dit l'obtenir par la disposition de son tableau, non par la mise en évidence d'un contenu émotionnel comme chez Van Gogh, mais par la recherche des " lignes essentielles ". Et cet aspect éminemment harmonique doit, dans son esprit, dispenser à l'homme moderne une délectation toute classique qu'il cherche à faire naître par de grandes décorations (la Desserte, harmonie rouge, 1908, Ermitage).
   La Musique et la Danse, commandées par Chtchoukine en 1909 (auj. à l'Ermitage), illustrent excellemment ce parti : " Trois couleurs pour un vaste panneau de danse : l'azur du ciel, le rose des corps, le vert de la colline " (interview pour les Nouvelles, 12 avr. 1909). À la souple guirlande des arabesques choisies pour les nus de danseuses répondent les taches discontinues des musiciens définis par un trait plus aigu. Ce goût pour la musicalité abstraite des lignes et des couleurs est confirmé par l'intérêt de l'artiste pour l'art musulman : il visite en 1910 avec Marquet l'exposition de Munich, passe l'hiver de 1910-11 en Espagne méridionale et le début de l'année suivante au Maroc, où il retourne en 1913. Mais, en dehors des grands panneaux décoratifs, les ateliers, les figures, les paysages et les natures mortes exécutés de 1909 à 1913 (Moscou, musée Pouchkine ; Ermitage) présentent une grande variété de moyens, à la fois plastiques et colorés, également décisifs dans leur application.
   L'expressionnisme de la Gitane reparaît dans l'Algérienne (1909, Paris, M. N. A. M.), mais en quelque manière décanté. Cette figure, traitée en sobres et vigoureux aplats abruptement définis par les noirs, évoque la technique de la gravure sur bois et annonce les œuvres à peu près contemporaines de Kirchner. La même remarque s'impose pour les nus exécutés au cours de l'été de 1909 à Cavalière (Nu rose, musée de Grenoble). Certaines natures mortes exploitent un arrangement et une pose de touche encore cézanniens (Nature morte aux oranges, 1912, Paris, musée Picasso), tandis que d'autres (ainsi que des tableaux d'intérieur) développent le thème en succession de teintes plates très attentivement ordonnées par rapport à la surface de la toile et sur lesquelles s'inscrivent les motifs privilégiés (la Famille du peintre, 1911, Ermitage ; les Poissons rouges, 1911, Moscou, musée Pouchkine). Le subtil équilibre matissien entre rigueur et sensibilité atteint une acuité extrême dans les grandes décorations de 1911 (l'Atelier rouge, M. O. M. A. ; Intérieur aux aubergines, musée de Grenoble) et dans la Fenêtre bleue de 1913 (New York, M. O. M. A.), exécutée à Issy-les-Moulineaux, où habite le peintre depuis 1909. Le paysage, contemplé de la fenêtre, les repères matériels de la demeure sont réduits à des éléments géométriques sans sécheresse investis par des plages bleues, nettement scandées par les objets ocre et vert (buste, vase, lampe) et les deux taches rouges des fleurs. Acquis par Morozov, les 3 tableaux dits " Triptyque marocain " (1912, Ermitage ; Moscou, musée Pouchkine) proposent en un style plus détendu, marqué par la lumière méditerranéenne, la couleur suggérant la forme, un résumé des récentes investigations. En 1914, Matisse reprend un atelier au 19, quai Saint-Michel. Avant la découverte de Nice et de sa plénitude solaire, en 1917, il passe, comme au début de sa carrière, par une période d'austérité : harmonies plus sombres et audacieuses simplifications qui représentent, accordées à son tempérament, des réalisations parallèles à celles du cubisme synthétique (Porte-fenêtre à Collioure, 1914, Paris, M. N. A. M.). À côté des études d'atelier avec une échappée sur l'extérieur (le Bocal de poissons rouges, 1914, Paris, M. N. A. M.) prennent place des œuvres où les différents motifs, heureusement sertis par des courbes sur un vaste fond noir — le noir, " couleur de lumière ", dit Matisse —, sont des signes purs, toutefois identifiables (les Marocains, 1916, New York, M. O. M. A. ; les Coloquintes, 1916, id.). La Porte-fenêtre à Collioure (1914, Paris M. N. A. M.) va plus loin encore : les détails de la fenêtre éliminés, ne restent en présence que des champs chromatiques essentiels, qui annoncent l'expressionnisme abstrait américain des années 1950 (le tableau cependant n'a été exposé qu'à partir de 1966).Au cours des mêmes années, la sculpture poursuit un objectif semblable en tentant de rapprocher au maximum le plan du relief (Dos, 1916-17), recherche dont témoigne aussi la Leçon de piano (1916, New York, M. O. M. A.). Quelques mois cependant après l'achèvement de ce tableau où la synthèse formelle et chromatique était poussée très loin, Matisse en reprend le sujet dans la Leçon de musique (1917, fondation Barnes, Merion), où s'opère un retour à un réalisme post-impressionniste.