vineri, 24 iulie 2020

Sfanta Sophia, Ἁγία Σοφία, Hagía Sophía (532-537)

Ἁγία Σοφία




Mosaïques

(w.fr.)

L'archange Gabriel, sur l'arc devant l'abside où était situé l'autel, dans la bêma. Seconde moitié du ixe siècle.
Au cours des siècles, l'église fut décorée de riches mosaïques. La totalité des voûtes et coupoles, et certains murs, étaient couverts de mosaïques à fond d'or. Elles figuraient la Vierge Marie, Jésus, les saints, des anges, ou bien des empereurs et impératrices, ou encore de motifs végétaux et géométriques dans un style purement décoratif.
La crise iconoclaste dans les années 726 à 843, a vu la destruction de la quasi totalité des mosaïques de la période primitive dans les églises de Constantinople, dont Sainte-Sophie, ce sont surtout les mosaïques figuratives qui étaient les plus visées. Il est de nos jours très difficile d'imaginer la richesse décorative et picturale inouïe qu'elles pouvaient représenter. Pour observer des ensembles de mosaïques byzantines de la période primitive, il faut de nos jours se reporter dans les églises de la ville de Ravenne, comme à la basilique Saint-Vital, même si les mosaïques de Sainte-Sophie devaient être un peu différentes. Les mosaïques détruites ont été peu à peu remplacées par d'autres, mais le style évolua fortement au fil des siècles et ne retrouva pas la richesse ornementale des premiers temps.
Après la période iconoclaste, une quantité de mosaïques et autres décors figuratifs furent ajoutés dans la seconde moitié du ixe siècle, notamment une célèbre image du Christ dans la coupole centrale, d'autres de saints orthodoxes, de prophètes, de pères de l'Église et de figures historiques liées à l'Église orthodoxe, comme le patriarche Ignace de Constantinople ou encore des scènes de l'Évangile dans les galeries. Les plus anciennes mosaïques figuratives aujourd'hui visibles dans la basilique sont celles de l'abside (celle qui abritait l'autel), représentant la vierge à l'enfant (la Théotokos) sur la demi-coupole, et les archanges Gabriel et Michel sur l'arche de la bêma37.
En 1204, lors de la quatrième croisade, les croisés latins pillèrent les grands édifices byzantins de la ville, y compris Sainte-Sophie.
À la suite de la conversion du bâtiment en mosquée, en 1453, bon nombre des mosaïques furent recouvertes de plâtre, en raison de l'interdiction dans islam de représenter des scènes figuratives. Ce processus ne fut pas accompli d'un seul coup, et des rapports existent depuis le xviie siècle dans lesquels des voyageurs déclarent avoir vu des images chrétiennes dans l'ancienne basilique.
En 1847-1849, le bâtiment fut restauré par deux frères suisses, Gaspare et Giuseppe Fossati, qui obtinrent du sultan Abdülmecid la permission de relever toutes les mosaïques qu'ils seraient amenés à découvrir au cours des travaux. Toutefois, il n'était pas prévu de les restaurer, et même, les Fossati durent masquer à la peinture certaines figures qu'ils venaient de relever en détail : c'est le cas des visages de deux mosaïques de séraphins découvertes au cours des travaux sur les pendentifs, au centre de l'édifice. Les deux autres figures de séraphins symétriques des pendentifs n'ont pas été retrouvées par les Fossati, qui les ont entièrement recréées. Dans d'autres cas, les Fossati se sont efforcés de combler à la peinture les parties de mosaïques endommagées, au point de parfois les redessiner complètement.
Les archives des Fossati (conservées aux archives cantonales de Bellinzona en Suisse)38 sont parfois les uniques sources de mosaïques aujourd'hui disparues, recouvertes de plâtre ou peut-être détruites par le violent tremblement de terre de 1894. Parmi celles-ci figuraient une grande mosaïque du Christ pantocrator sur le dôme, une mosaïque au-dessus d'une « porte des Pauvres » non identifiée, une grande image d'une croix incrustée de pierres précieuses et un grand nombre d'images d'anges, de saints, de patriarches, et de pères de l'Église. La plupart des images manquantes se trouvaient sur les deux tympans.

Mosaïques de la Porte impériale


Mosaïque de la Porte impériale.
Les mosaïques de la Porte impériale ornent le tympan qui surmonte la porte réservée à l'empereur.
D'après leur style, on peut les dater de la fin du ixe siècle ou du début du xe siècle. L'empereur représenté avec un halo (ou nimbe) pourrait être Léon VI le Sage ou son fils Constantin VII Porphyrogénète : il s'incline devant le Christ pantocrator, assis sur un trône incrusté de pierres précieuses et donnant sa bénédiction, la main gauche sur un livre ouvert39. On peut lire sur le livre : « EIPHNH YMIN. EΓΩ EIMI TO ΦΩC TOY KOCMOY ». « La paix soit avec vous. Je suis la Lumière du monde. » (Jean 20:19; 20:26; 8:12). Les deux médaillons, de chaque côté des épaules du Christ, figurent, à sa gauche, l'archange Gabriel, tenant une houlette, et à sa droite, sa mère, Marie. L'ensemble forme ainsi la scène de l'Annonciation. Cette mosaïque exprime le pouvoir temporel conféré par le Christ aux empereurs byzantins.

Mosaïques de l'entrée sud-ouest


La Vierge et l'Enfant, entourés de Justinien et Constantin.
Les mosaïques du tympan de l'entrée sud-ouest datent de 944. Elles furent redécouvertes lors des restaurations de Fossati, en 1849. La Vierge Marie est assise sur un trône sans dossier décoré de pierres précieuses. L'Enfant Jésus est assis sur ses genoux, donnant sa bénédiction et tenant un rouleau dans sa main gauche. À droite se tient l'empereur Constantin, en costume de cérémonie, présentant à Marie un modèle de la ville. L'inscription à son côté dit : « KΩNCTANTINOC O EN AΓIOIC MEΓAC BACIΛEYC », « Constantin, le grand basileus (roi) parmi les saints ». À gauche se tient l'empereur Justinien, offrant Sainte-Sophie avec, au-dessus de lui, l'inscription : « IOYCTINIANOC O AOIΔIMOC BACIΛEYC », « Justinien, le basileus (roi) digne d'être chanté ». Les médaillons, des deux côtés de la tête de la Vierge, portent les monogrammes « MP » et « ΘY », abréviation de « MHTHP ΘEOY », « Mère de Dieu ».

Mosaïques de l'abside


Mosaïque de l'abside : la Théotokos (la Vierge et l'Enfant Jésus).
La mosaïque de la Théotokos (la Vierge à l'Enfant) est la première mosaïque de la période post-iconoclaste. Elle a été inaugurée le  par le patriarche Photius et les empereurs Michel III et Basile Ier. Cette mosaïque est située très en hauteur, dans la demi-coupole de l'abside. Marie est assise sur un trône sans dossier, tenant l'enfant Jésus sur ses genoux. Ses pieds reposent sur un piédestal. Tant le socle que le trône sont ornés de pierres précieuses. Ces mosaïques sont considérées comme une reconstruction des mosaïques du vie siècle qui furent détruites au cours de la période iconoclaste. Les figures des mosaïques sont disposées sur le fond d'or original du vie siècle. Les portraits des archanges Gabriel et Michel (en grande partie détruits), sur le bêma de l'arche, datent également du ixe siècle.

Mosaïque de l'empereur Alexandre


Mosaïque d'Alexandre III.
La mosaïque de l'empereur Alexandre est assez difficile à trouver, cachée dans un coin très sombre du plafond du deuxième étage. Elle représente l'empereur Alexandre III (« AΛEΞANΔPOC »), dans son manteau impérial, tenant un rouleau dans sa main droite et un orbe (ou globus cruciger) dans la gauche. Un dessin de Fossati montre que la mosaïque a survécu jusqu'en 1849, et on pensait qu'elle avait été détruite dans le tremblement de terre de 1894. Elle fut redécouverte en 1958, sous une simple couche de peinture40.

Mosaïque de l'impératrice Zoé


Mosaïque de l'impératrice Zoé.
Cette mosaïque de la galerie sud date du xie siècle. Le Christ pantocrator, vêtu d'une robe bleu foncé (comme c'est l'usage dans l'art byzantin), est assis au milieu, sur fond d'or, donnant sa bénédiction de la main droite et tenant la Bible de la gauche. De chaque côté de son visage sont disposés les monogrammes « IC » et « XC », pour « IHCOYC XPICTOC » (Iēsous Khristos). Il est flanqué de Constantin IX Monomaque et de son épouse l'impératrice Zoé, tous deux en costumes de cérémonie. L'empereur présente une bourse qui rappelle le don qu'il a fait à l'église, alors que Zoé tient un livre, symbole de sa propre donation, portant ces mots : « KΩNCTANTINOC EN X(PICT)Ω TΩ Θ(Ε)Ω ΠICTOC BACIΛEYC » « Constantin, pieux empereur dans le Christ Dieu ». L'inscription du côté de l'empereur dit : « KΩNCTANTINOC EN X(PICT)Ω TΩ Θ(Ε)Ω AYTOKPATΩP ΠICTOC BACIΛEYC PΩMAIΩN O MONOMAXOC » « Constantin, pieux empereur dans le Christ Dieu, roi des Romains, Monomaque ». L'inscription de l'impératrice se lit comme suit : « ZΩH H EYCEBECTATH AYΓOYCTA » « Zoé, la très pieuse Auguste ». Ni le visage, ni le nom de l'empereur ne sont ceux d'origine. Il est possible que la mosaïque ait d'abord représenté le premier mari de Zoé, Romain III Argyre, ou son fils adoptif, Michel IV le Paphlagonien.

Mosaïque des Comnène


Mosaïque des Comnène.

Mosaïque d'Alexis Comnène (pilier droit).
La mosaïque des Comnène est située, elle aussi, sur le mur oriental du côté sud de la galerie. Elle a été exécutée après 1122. La Vierge Marie (« MP ΘY ») est debout au milieu, dans sa robe bleu foncé habituelle dans l'art byzantin. Elle tient sur ses genoux le Christ enfant, qui donne sa bénédiction de la main droite tout en tenant un rouleau dans sa main gauche. Sur son côté droit, l'empereur Jean II Comnène (« IΩ(ANNHC) EN X(PICT)Ω TΩ Θ(E)Ω ΠICTOC BACIΛEYC ΠOPΦYPOΓENHTOC, AYTOKPATΩP PΩMAI(ΩN) O KOMNHNOC » « Jean, pieux empereur dans le Christ Dieu, Porphyrogénète, roi des Romains, Comnène ») est représenté dans un costume brodé de pierreries.
Il tient à la main une bourse, symbole d'une donation impériale à l'église. L'impératrice Irène de Hongrie (« EIPHNH H EYCEBECTATH AYΓOYCTA » « Irène, la très pieuse Auguste ») se tient au côté gauche de la Vierge, en vêtements de cérémonie, présentant un document. Leur fils aîné, le coempereur Alexis Comnène (« AΛEΞIOC EN X(PICT)Ω ΠI(CTOC) BACIΛEYC PΩMAI(ΩN) » « Alexis, dans le Christ, pieux empereur des Romains ») est représenté sur un pilastre de côté. Ses traits tristes sont le reflet de sa mort, la même année, de la tuberculose. On peut comparer ce groupe avec la mosaïque de l'impératrice Zoé, qui lui est antérieure d'un siècle, et voir l'évolution : l'expression des portraits se trouve maintenant plus réaliste, autrement dit, moins idéalisée. L'impératrice a des cheveux blonds tressés, des joues roses et des yeux gris, propres à montrer ses origines hongroises. L'empereur est représenté dans la dignité.

Mosaïque de la déisis


La déisis : la Vierge et Jean Baptiste implorent le Christ.
La mosaïque de la déisis (grec Δέησις : « supplication ») date probablement de 1261. C'est le troisième panneau de la loge impériale de la galerie supérieure. Cette mosaïque est considérée comme un chef-d'œuvre pour la douceur des traits et de l'expression des visages, et aussi comme le début de la renaissance de l'art pictural byzantin. Le style est celui des peintres italiens de la fin des xiiie – xive siècles, comme Duccio. La Vierge Marie (« MP ΘΥ ») et saint Jean le Baptiste (« O AΓIOC IΩ. O ΠPOΔPOMOC » : saint Jean Prodromos), tous deux de trois-quarts, implorent l'intercession du Christ pantocrator (« IC XC ») pour les péchés de l'humanité lors du Jour du jugement. La partie inférieure de la mosaïque est très détériorée, probablement à cause de la pluie venant de la fenêtre voisine.

Mosaïques du tympan septentrional

Les mosaïques du tympan nord, situées très en hauteur, figurent quelques saints personnages, parmi lesquels on reconnaît saint Jean Chrysostome (« IΩANNHC O XPYCOCTOMOC ») et le patriarche Ignace de Constantinople, dit le Jeune (« IΓNATIOC O NEOC ») debout, vêtus de robes blanches brodées de croix et tenant des bibles richement ornées. Les autres ont disparu, probablement lors du tremblement de terre de 1894.

Images

Mosaïques

Datation des mosaïques entre parenthèse.



24 iulie 2020
Ayasofya-i Kebîr Câmi-i Şerîfi
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« En Méditerranée, Recep Tayyip Erdogan cherche une revanche néo-ottomane »

vineri, 10 iulie 2020

Pictura olandeza

SKD | Online Collection
Pieter Claesz (1597-1660), Natura moarta cu pocal de aur,1624 

De 60 beste afbeeldingen van Vanitas | Vanitas, Stilleven ...

Eduwaerdus Kollier, Vanitas,17th Century


Still Life
Pieter Claesz , Stilleven met haringen, brood, kazen en rookwaar

Still Life with Two Lemons, a Facon de Venise Glass, Roemer, Knife and Olives on a Table

Pieter Claesz. (Berchem 1597/8 - 1660/1 Haarlem), Still life of lemons and olives, pewter plates, a roemer and a façon-de-Venise wine glass on a ledge, signed in monogram and dated lower right: PC Ao .1629


Evert Collier | Painting still life, Vanitas, Beautiful details
Edwart Kollier, 1642-1708, Natura moarta

Pieter Claesz - Detail of the Vanitas with Violin and Glass Ball ...

File:Pieter Claesz. - Vanitas with Violin and Glass Ball ...
Pieter Claesz, Vanitas


Une leçon particulière

Une leçon particulière
ou : de Rembrand à Sebald en passant par Asterix, l'Afrique du Sud et Che Guevarra.
(en 4 parties). Aujourd'hui : L'étendue du tableau

La leçon d'anatomie est aujourd'hui un tableau célèbre de Rembrandt que l'on peut trouver sous trois autres titres (La Leçon d'anatomie du docteur TulpLa Leçon d'anatomie du docteur Nicolaes Tulp ou La Leçon d'anatomie du professeur Tulp) qui s'expliquent par son origine : une commande à l'occasion d'une leçon publique de physiologie du bras, donnée par le docteur Nicolae Pieterszoon Tulp à Amsterdam le 16 janvier 1632. Le sujet de la leçon est à retenir car il est le point de départ de nombreuses polémiques.
Si on se met à la place du mort, la dissection se fait sur la face interne son bras gauche, retourné puisque le pouce est vers le haut.
...
Notons que c'est le premier tableau de groupe peint par Rembrandt, et qu'il n'a alors que 26 ans.
Ajoutons qu'à cette époque la corporation des chirurgiens d'Amsterdam n'autorisait par an qu'une dissection publique et que le corps utilisé devait être celui d'un criminel exécuté. En l'occurrence ici il s'agit d'Aris Kindt, âgé de 41 ans, et qui venait d'être pendu le jour même pour vol à main armée.
Je ne sais pas si Kindt était gaucher. Si oui je pourrais faire remarquer que la leçon portait là par où il avait péché.
La leçon se passe en hiver pour limiter les odeurs.

On connaît le nom des sept chirurgiens présents qui entourent le professeur Tulp, les plus grands et les plus connus d'Amsterdam à cette époque.
Rembrandt les a indiqués par des repères chiffrés et les noms figurent sur la feuille que tient un personnage en retrait. (Selon certaines sources, il semblerait que la liste a été peinte donc ajoutée plus tard.)
En première approche ce tableau est la mise en scène d'une corporation sociale influente dans une époque d'essor et de prospérité économiques uniques.
Il suffit de se rappeler que quelques années plus tôt en 1624, de l'autre côté de l'océan, la puissante compagnie des Indes néerlandaise avait pris possession du sud de Manhattan sous le nom de " Nouvelle Amsterdam ", qui sera rebaptisée New York par les anglais en 1664.

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Cette grande toile ( 2,16 m sur 1,70 m de hauteur) fut en 1828 mise vente publique au profit de la caisse des veuves de chirurgiens mais au dernier moment le roi Guillaume Ier la fit empêcher et donna l'ordre d'acheter ce chef-d'œuvre pour son «cabinet royal de tableaux».
Elle est actuellement au musée Mauritshuis à La Haye aux Pays-Bas.
Elle est avec La ronde de nuit un des tableaux les plus célèbres de Rembrandt.
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Il existe une multitude d'analyses et de commentaires sur ce tableau, allant même jusqu'aux polémiques.
C'est cela qui me plaît dans la peinture en général : elle contient toujours beaucoup plus que le sujet ou tout simplement ce que l'on peut voir avec les yeux. Un tableau comporte, parfois même à l'insu du peintre, plusieurs strates de lectures et de sens. Vous savez que j'aime le mille-feuille.

Avec la leçon d'anatomie de Rembrandt, il est de qualité.

Un jeune peintre et son premier chef d'oeuvre
En 1632 il n'a que 26 ans. Son premier tableau signé datait de 1625 (La Lapidation de saint Étienne). C'est son premier tableau de groupes, et pourtant on peut y déceler déjà de nombreuses qualités comme l'art de la composition et du clair obscur, qui le rendront célèbres plus tard, et déjà son art du portrait qui dépasse la ressemblance physique mais atteint en profondeur le psychisme et la personnalité du personnage. Ce qui lui vaudra de nombreuses commandes puisque dans les quatre ou cinq années qui suivirent le leçon, il réalisera une cinquantaines de portraits, ce qui lui assurera une certaine aisance financière (on sait qu'il mourra en 1669, désargenté et que sa tombe aujourd'hui a disparue, sa famille n'ayant pas eu l'argent pour lui construire un tombeau personnel.)


L'histoire de la peinture en général et l'histoire tout court
Les Pays-Bas n'étaient pas le seul pays à pratiquer " des leçons d'anatomie, ni les tableaux de groupes, mais jusqu'au Haut-Moyen-Age les autopsies étaient interdites, sauf pour les cadavres des papes ou des princes. Elles ne furent autorisées qu'à partir de la Renaissance (Dès 1487, Léonard de Vinci entreprend de disséquer des corps, dans le projet de réaliser un important traité d'anatomie très illustré. Avant lui ( Masaccio (1401-1428), Donatello (1386-1466), Antonio Pollaiuolo (1432-1498) ou Michel-Ange (1475-1564)) les artistes se contentaient d'observer attentivement des sculptures, antiques et contemporaines, et des squelettes. On dit qu'à la fin de sa vie Léonard de Vinci avait disséqué personnellement plus d'une vingtaine de cadavres.)
Ce tableau est une composition faite en atelier, ainsi que tous les portraits. Seul le croquis du bras écorché a été effectué sur les lieux de la dissection. Là aussi existe une polémique : il se peut, selon certains anatomistes d'aujourd'hui, que Rembrandt à reporté sur le bras gauche ce qu'il avait vu de la dissection qui en réalité s'était effectuée sur le bras droit ! Nous y reviendrons peut-être.

Les avis sont partagés sur ses connaissances en anatomie ce qui n'était pas le cas du flamand André Vesale qui un siècle plus tôt avait publié les sept livres de son traité De humani corporis fabrica libriLa fabrique traduit en français en 1543. Tulp semble rendre hommage à Vesale tout en marquant une rupture avec lui.
Comme le dit Murielle Pic (spécialiste de SebaldBenjamin et Adorno) : " Tulp se démarquerait de Vésale en ce qu’il ne plonge pas ses mains dans le cadavre mais recourt à un instrument alors que Vésale empoigne l’avant-bras disséqué du cadavre. À regarder ces deux portraits de chirurgiens où l’un est en représentation (en leçon) tandis que l’autre figure à lui seul le geste anatomique, on constate que l’opération elle-même diffère : là où Vésale empoigne l’avant-bras disséqué du cadavre, Tulp s’en saisit et l’exhibe grâce à une pince chirurgicale qui est venue relayer le scalpel ».
La présence du gros livre encyclopédique (La Fabrique) situé en bas à droite du tableau ne serait pas là pour une raison d'équilibre de la composition, mais pour montrer que le professeur n'est pas sûr de lui et a besoin d'aide et se réfère au Maître.
La précision de la peinture et de l'exactitude des tendons et des muscles du bras et de la main peints par Rembrandt est sujet à discussion de la part des médecins. Certains supposent que Rembrandt lui-même à dû consulter cet ouvrage.
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L'histoire de la médecine et de la physiologie
On peut lire par exemple sur le site actuel de l'Académie nationale de Médecine, dans une excellente étude du tableau : "le tableau de Rembrandt représente une véritable leçon de physiologie fonctionnelle qui s’accorde avec l’atmosphère intellectuelle du XVIIe siècle, marquée par le renouvellement de la problématique du mouvement des corps, en physique. « La Leçon d’Anatomie » du Docteur Tulp témoigne également d’une rupture épistémologique avec l’anatomie descriptive de Vésale." )
Nous reviendrons plus tard sur cette déclaration quand on parlera du "véritable" sujet du tableau et de différentes interprétations qui sont proposées .

Histoire de la religion,
La leçon d'anatomie était un spectacle autorisé pour " montrer ce que la nature a caché en nous " et où " l'âme habite tant que nous sommes en vie ". Ces leçons qui étaient des spectacles prenant lieu dans des salles spécialisées (amphithéâtres d'anatomie) où pouvaient s'entasser sur des gradins étagés des centaines de personnes, donnant à la leçon un caractère de fête quasi religieux (où il n'était interdit que de rire et d'emporter des organes). L'entrée était payante, et l'argent servait à rétribuer le bourreau qui avait amené le corps et le cuisinier qui préparait le repas qui suivait (un festin) qui était lui-même suivi souvent d'une retraite aux flambeaux.

L'idée que l'âme est un don de Dieu était omniprésente. Au XVIIème siècle la recherche scientifique sur l'être humain n'était pas possible ni envisageable autrement que pour montrer la toute puissance de Dieu.
Rupture et innovation dans ce tableau : choisir le bras et les doigts (plutôt que des viscères) pour faire passer un message religieux. Les tendons régissent les doigts comme Dieu régit les hommes !
Rupture aussi quant à la position du professeur qui se met contre et touche au cadavre. (On se rappelle l'incrédulité de saint Thomas, du Caravage peint en 1603 où seul Thomas avait touché la plaie du Christ).
le tableau de rembrandt traduit tout à fait une prise de distance face au catholicisme et à la domination espagnole précédente, à une époque ou le protestantisme est en plein essor.

La qualité de la Peinture et de sa composition


1617 -Leçon d'anatomie de Willem van der Meer. par Mierevelt.

1632- Leçon d'anatomie du docteur Tulp, par Rembrandt
Le professeur est détaché et démarqué des autres, lui seul porte chapeau. Il est près du cadavre, et tient lui-même les instruments à la main, ce qui est nouveau (d'habitude le professeur ou savant est en retrait et fait exécuter les gestes à des assistants qui se retrouvent souvent entre lui et le cadavre).
Rembrandt est novateur : Les personnages ne font pas face au spectateur ou à l'ojectif comme dans une photo de classe, et comme on le faisait en peinture AVANT. Remis le contexte de l'époque c'est presque "choquant" voire provovateur.

Le cadavre occupe la place centrale disposé en diagonale par rapport au bord inférieur de la toile. Il reçoit la majeure partie de la lumière. Cela aussi est choquant. Avant, on le représentait un linge sur la tête. Ici on voit totalement le visage du mort (Et si Rembrandt y laisse une part d'ombre c'est peut-être qu'à 25 ans, quand il commence la tableau, il ne sait pas encore que la vie et la mort peuvent coexister) : Rembrandt regarde la mort en face. C'est annonciateur de son génie : non pas qu'il a peint par la suite beaucoup de cadavres, de morts accidentés... mais qu'il a toujours imprégné ses portraits de la fin inéluctable qui les attendait ou qu'ils portaient en eux.
 Même chose pour ceux qui assistent : ils sont attentifs au corps, se penchent dessus. Avec un jeu de regards époustoufflant il sait aussi nuancer l'attitude et l'intérêt de chacun.
 Il place toutes sommités à gauche, fait que les visages et le corps sont dans une ellipse dont la main gauche de Tulp est le foyer. On reviendra sur cette main gauche. la composition est aussi faite de triangles. Tulp en est le plus massif à lui tout seul qui tient les autres en respect.
L'index du personnage le plus en hauteur nous dit discrètement et silencieusement : regardez bien ce qu'on vous montre là.
À noter enfin que Rembrandt a peint plus tard en 1656 une autre leçon d'anatomie, La leçon d'anatomie du professeur Deyman, très endommagée par un incendie en 1723, mais où on voit cette fois l'abdomen ouvert, toile qui mérite qu'on y revienne plus tard, car inspirée de La lamentation du Christ mort de Mantegna et peinte par Rembrandt 24 ans plus tard que la leçon de Tulp.
Il serait intéressant de savoir si lui-même a tiré une leçon de cette première leçon.
(suite)
La leçon d'anatomie du docteur Tulp
ou : de Rembrandt à Sebald en passant par Asterix, l'Afrique du Sud et Che Guevara (en 4 parties). (lire 1ère partie).
2ème partie : On ne voit pas tous la même chose dans le même tableau.

Dans les Maîtres d'autrefois, un chef-d'oeuvre de la critique romantique, Eugène Fromentin étudie certaines oeuvres rencontrées au cours d'un voyage assez court (du 5 au 30 juillet 1875) en Belgique et en Hollande. Connu comme écrivain, peintre et critique d'art, Eugène n'y va pas de main molle. Il assassine carrément la leçon d'anatomie de Rembrandt qu'il juge comme une oeuvre mineure. Écoutons-le, (ou lisons les pages 291 à 297 de l'édition originale en ligne et téléchargeable à la bnf) Fromentin y est en forme et ne mâche pas ses mots. Extraits :


Les admirateurs de Rembrandt savent que Fromentin préférait Rubens, était très " traditionnaliste " et n'a jamais apprécié Rembrandt, puisque même sa critique de la célèbre " Ronde de nuit " était négative.
(Extrait ci-contre de son analyse de la page 325 à 364).
Mais son analyse et son jugement sont documentés. C'est intéressant de comprendre ce qui ne le séduisait pas chez Rembrandt.
Il y a par contre de belles pages sur ce qu'est ou n'est pas selon lui un peintre " coloriste " et sur le " clair obscur ".
...

La leçon d'anatomie du docteur Tulp a bien sûr aussi intéressé les médecins, physiologistes, anatomistes de toutes les époques. Les scientifiques n'ont jamais trop aimé qu'un non spécialiste touche à leur domaine ou veuille y mettre son grain de sel. Ils se sont donc intéressés à ce qui était représenté du corps, à savoir ici la main, le bras et l'avant-bras, les muscles et les tendons représentés, qui précisons-le n'étaient absolument pas la spécialité du docteur Tulp, qui restera dans l'histoire plutôt pour sa description des méfaits du tabac sur la respiration, et celle de la valvule iléo-caecale.



En 2006, parut dans une revue néerlandaise un article à sensation puisque deux médecins avaient refait la dissection du membre gauche dans la même position que sur le tableau et donnaient leurs commentaires et critiques et laissaient entendre une certaine inexactitude voire même des inversions de masses musculaires.
Je passe rapidement les arguments de la polémique (il semble que des éléments du musculus flexor digitorum superficialis (muscle fléchisseur superficiel des doigts) ont changé de position, que certains muscles n'apparaissent pas et que la structure longitudinale blanche que l'on voit sur le côté de l'os cubital n'existe pas). Précisons quand même que le muscle fléchisseur en question est celui que tient la pince du docteur Tulp.
Enfin que les admirateurs de Rembrandt se rassurent : Rembrandt était un bon observateur et un bon anatomiste, et il savait ce qu'il faisait, comme on le lira chez Sebald tout à l'heure. Ce qu'on peut critiquer (exagération ou approximation) peut être expliqué par un effet de perspective provoqué par le soulèvement de la pince qui peu large prend toutes les masses du muscle fléchisseur.
N'empêche que ce soulèvement de la masse musculaire fait que je pense aussi que ce n'est pas une leçon d'anatomie mais une leçon de physiologie : c'est ce que la main gauche de Tulp montre : attention si je tire dessus (avec ma pince que je soulève) regardez : certaines phalanges vont bouger (fléchir, car n'oublions pas que cette main gauche disséquée est retournée, qu'il s'agit de sa face interne puisque le pouce est en haut).
La position de la même main gauche de Tulp (au sommet d'un triangle incroyable) préfigure ce qui va se passer, avec un poignet en extension maximum et les articulations métacarpophalangiennes en rectitude,(qui peut sembler bizarre à première vue) position qui va permettre de très bien voir la flexion des articulations inter-phalangiennes proximales des doigts.
On a là une démonstration de la commande du mouvement des doigts.
Cette leçon n'est pas une leçon d’anatomie descriptive mais une démonstration d’anatomie fonctionnelle. Cette idée de mouvement transmis ou provoqué lors de la dissection est importante, particulièrement à cette époque.
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On ne peut plus de toute façon se satisfaire de ce que Pierre Descargues dit en 1990 dans son livre (page 71) : « on le voit dégager avec des pinces ce qu’il entend montrer, les muscles des doigts et leur irrigation, en soulignant de la main gauche ce qu’il explique »
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On peut s'attarder sur le regard des deux personnages situés à droite de Tulp et qui semblent suivre attentivement la leçon (les deux bons élèves dirait un prof aujourd'hui). L'un regarde la main disséquée, l'autre la main gauche du professeur. On peut même dire pour ce dernier spectateur que sa propre main gauche posée devant lui préfigure (inconsciemment sans doute) ou se prépare à mimer (ou reproduire) ce que va faire la main de Tulp et les doigts du cadavre, : fléchir le bout des doigts !


Par contre l'interprétation du tableau par l'écrivain W.G.Sebald, que nous avons déjà évoqué plusieurs fois dans ce journal, est plus intéressante.
En effet dans son livre Les anneaux de Saturne traduit en français chez Actes Sud en 1999 (publié chez Folio en 2003), livre assez inclassable et exceptionnel (je n'insiste pas. Si après avoir lu ça vous ne vous ruez pas dessus, c'est à désespérer), on trouve dans le premier chapitre (de la page 24 à la page 30 dans l'édition Folio) un commentaire et une interprétation étonnants du tableau de Rembrandt.
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Dans ces pages, c'est fréquent chez Sebald, on trouve des photos, en général assez sombres et de mauvaise qualité. Ici trois, dont la première est le crâne de Thomas Browne qui d'après Sebald a sans doute assisté à la dissection du docteur Tulp (précédée par des pages non moins passionnantes sur la recherche et l'histoire de ce crâne, qui elles-mêmes suivaient des considérations sur les scrupules de Flaubert...). Les deux autres représentent le tableau en entier et un détail cadré et choisi où figure le cadavre, vous comprendrez bientôt pourquoi.
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C'est le moment où on peut dire que Sebald n'y va pas " de main morte " :

- " Si nous n'avons pas la preuve formelle, il est plus que probable que l'annonce de la dissection n'a pas échappé à Browne et qu'il a assisté en personne au spectaculaire évènement représenté par Rembrandt [...] tant il est vrai que la leçon d'anatomie [...] n'était pas seulement du plus haut intérêt pour un médecin en herbe mais faisait véritablement date dans le calendrier de la société de l'époque, en passe, comme elle le croyait, de s'arracher aux ténébres pour pénétrer enfin dans la lumière."

- " il s'agissait aussi de quelque chose d'autre, que l'on eût sans doute récusé avec force, à savoir du rituel archaïque du démembrement d'un homme, de la stricte application de la peine requise contre le délinquant [...]

- "Le caractère officiel de la dissection du défunt [...] mais aussi le fait qu'un banquet solennel, en quelque sorte symbolique, a lieu à l'issue de la procédure, prouvent que la leçon d'anatomie d'Amsterdam n'a pas uniquement pour objet l'approfondissement de la connaissance des organes internes de l'homme. "

- "[...] et nous croyons voir ce qu'ils ont vu : allongé au premier plan, le cadavre verdâtre d'Aris Kindt, la nuque brisée, le torse effroyablement bombé sous l'effet de la rigidité cadévérique. Et cependant, on peut se demander si quelqu'un a réellement vu ce cadavre car l'art de la dissection, à l'époque en plein essor, consistait au bout du compte à rendre invisible le corps coupable".

- [...] " car il ne s'agit surtout de ne pas perdre de vue l'atlas anatomique ouvert où l'effroyable corps matériel se trouve réduit à un diagramme, à un schéma d'homme tel que le concevait l'amateur passionné d'anatomie, rené Descartes, qui semble avoir compté, lui aussi, au nombre des spectateurs présents au Waagebouw en cette matinée de janvier. "

- "Descartes enseignait qu'il faut détourner son regard de la chair incompréhensible, le fixer sur la machine disposée en nous, sur ce qui peut être compris totalement, utilisé plus efficacement et, en cas de dysfonctionnement, réparé ou mis au rancart."

- " Au singulier isolement dans lequel nous apparaît le cadavre pourtant entouré de monde correspond le fait que le réalisme tant vanté de ce tableau de Rembrandt ne résiste pas à l'examen. "


Dernière citation que je choisis et importante à mes yeux, où après de nombreuses remarques sur les particularités que Sebald trouve à la main disséquée il conclut :

- " [...] Les tendons dénudés qui devraient être ceux de la paume droite de la main gauche sont en fait ceux du dos de la main droite, il s'agit donc d'une figure purement scolaire, d'un emprunt à l'atlas d'anatomie en vertu duquel le tableau, au demeurant peint d'après nature, présente un défaut de construction criant à l'endroit même où s'exprime sa signification centrale, à savoir là où la chair a d'ores et déjà été incisée. Il est à peine pensable que Rembrandt ait fait cela sans le vouloirAutrement dit, la rupture dans la composition me semble tout à fait intentionnelle. La main difforme témoigne de la violence qui s'exerce à l'encontre d'Aris Kindt. C'est avec lui, avec la victime, et non avec la guilde des chirurgiens qui lui a passé commande du tableau, que le peintre s'identifie. Lui seul n'a pas le regard cartésien, lui seul perçoit le corps éteint, verdâtre, voit l'ombre dans la bouche entrouverte et sur l'oeil du mort. "

On comprend que l'interprétation de Sebald vise à donner à Rembrandt une grande intentionnalité, conformément à son origine plutôt modeste et l'empathie dont il a fait part pour les déshérités dans de nombreux tableaux. Sebald tient à nous faire croire (ou imposer) que Rembrandt a privilégié le cadavre pour montrer la double violence exercée à son égard, l’exécution capitale par pendaison suivie de la dissection anatomique.



Loin de moi et en suis incapable de vouloir juger ou privilégier une interprétation plutôt qu'une autre. Tout ce qui a été dit ou écrit comporte en lui-même à la fois sa preuve (question/réponse) mais aussi sa réfutation.
Par exemple quand Sebald écrit (dans un passage que je n'ai pas complètement cité et concernant la main disséquée) " Comparée à celle qui repose le plus près du spectateur, elle nous apparaît à la fois démesurément grande et totalement inversée du point de vue strictement anatomique. les tendons dénudés qui devraient être ceux de la paume de la main gauche sont en fait ceux du dos de la main droite. Il s'agit donc d'une figure purement scolaire, [...] " cela n'est pas recevable : la main et l’avant-bras ne sont pas inversés. L’extrémité du membre est simplement en supination et les tendons dénudés sont bien ceux de la paume de la main gauche.
Ajoutons pour la petite histoire, mais vérifiée, qu'une étude aux rayons X du tableau a montré que lors de la dissection le cadavre n'avait à droite qu'un moignon, et que Rembrandt a complété sur sa peinture. Aris Kindt avait donc dû antérieurement être puni une première fois pour un vol (mais sans mort de la victime, comme ce fut le cas la dernière fois) et donc amputé comme c'était la règle à l'époque. Les proportions ou comparaison entre les deux bras ou mains du cadavre sur le tableau ne peuvent donc pas servir d'arguments, sachant que lorsqu'un membre ou un organe sont amputés ou détruits, l'autre symétrique effectue une compensation, que ce soit de forme, de volume, de fonction ou de force ...

Sebald propose donc une lecture du tableau qui va totalement à l'encontre des interprétations réalistes. Il rend évident un montage entre deux représentations du corps : une picturale, l'autre scientifique. Sebald défend un regard capable d'empathie pour ceux qui ne peuvent plus parler : les disparus, les morts, les victimes de la destruction. On sait que c'est un de ses thèmes favoris (cf son livre De la destruction comme élément de l'histoire naturelle). Son interpétation montre ce qui n'est pas directement visible : " un inconscient collectif qui rejoue un rituel classique " (Muriel Pic, déjà citée dans ma page précédente).
Sebald rejoint Walter Benjamin quand il appréhende l'histoire comme histoire naturelle ou histoire de la nature, en utilisation des images empruntées au domaine naturaliste : crâne, opération anatomique... et en révèlant ce qui n'était pas vissible directement dans le tableau : " un rituel archaïque ". Dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique Walter Benjamin ajoute une note, à partir de sa 3ème version écrite de cet ouvrage, concernant le tableau de Rembrandt (page 20 de l'édition Allia, ou page 278 du tome III des oeuvres chez Folio) :
Le passage annoté est celui-ci : "Car rendre les choses spatialement et humainement " plus proches" de soi, c'est chez les masses d'aujourd'hui (1) un désir tout aussi passionné que leur tendance à déposséder tout phénomène de son unicité au moyen d'une réception de sa reproduction.".
La note (1) dans le bas de la page explique : " Que les choses deviennent 'humainement plus proches" des masses, cela peut signifier qu'on ne tient plus compte de leur fonction sociale. Rien ne garantit qu'un portraitiste contemporain, quand il représente un célèbre chirurgien prenant son petit déjeuner entouré de sa famille, saisisse plus exactement sa fonction sociale qu'un peintre du seizième siècle [sic] qui, comme le Rembrandt de la Leçon d'anatomie, présentait au public de son temps une haute image de ses médecins."
On pourrait aller beaucoup plus loin et je renvoie ceux que cela intéresse à l'article (aussi long qu'intéressant)) de Murielle Pic (Leçons d’anatomie. Pour une histoire naturelle des images chez Walter Benjamin).

Je voudrais dire deux mots sur Descartes, nommé plusieurs fois, et dont Sebald dit qu'il était sans doute présent ce jour-là (ce 16 janvier 1632). Même si je n'ai que la moitié du cerveau qui est cartésien, je parle bien de notre " grand philosophe " français né à Châtellerault, dont on a appris à l'école qu'il avait dit je pense donc je suis, écrit le Discours de la méthode... j'ai quand même une grande admiration pour lui car voyager à cette époque n'était pas courant et il fallait une certaine énergie et une certaine "curiosité" du monde.
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Que foutait donc Descartes à Amsterdam l'hiver 1632 et pourquoi cette bougeotte ?
On sait qu'il a quitté son village (pardon : sa petite ville) pour aller à Paris, puis en Hollande, au Danemark, en Allemagne, en Italie...et qu'il a voyagé jusqu'à la fin de sa vie, toujours en solitaire. Même dans ses lettres il ne dit pas souvent où il est. Intéressé par les mathématiques, la philosophie, l'anatomie, la musique, l'esthétique... On sait qu'il voulait tout comprendre et qu'il voulait expliquer tous les phénomènes de la nature.
On peut dire que Descartes était là au bon endroit et au bon moment. L'époque était turbulente, Galilée allait passer en procès, Harvey venait de découvrir la mécanisme de la petite et grande circulation. À Amsterdam, passionné par l'anatomie et obsédé par son idée de séparation de l'âme et du corps, Descartes pouvait rencontrer de nombreux savants, assister à des dissections (il habitait au centre ville et connaissait de nombreux bouchers), et pouvait écrire et travailler à son futur discours de la méthode (qui est en fait l'introduction à trois traités scientifiques et qu'il publiera à La Haye (et non en France) en 1637), ébaucher sa métaphysique...

Dans le petit livre que Pierre Bergounioux lui consacre et qui ne s'appelle pas par hasard Une chambre en Hollande (publié chez Verdier) il se demande assez vite (page 20) " Mais pourquoi aux Pays-Bas ? " et plus loin (page 27) repose la question et propose une première réponse :
Quelles raisons peuvent entraîner un gentilhomme français vers ces contrées à demi noyées, monotones et froides, hérétiques et germanophones ? Celle qu'il avance dans la première partie du Discours - " de ne chercher momentanément d'autre science que celle qui se pourrait trouver en lui-même ou dans le grand-livre du monde" - explique le déplacement, non la destination."
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Bien sûr il se jouait là le destin de l'Europe.
Bergounioux, non sans humour cite aussi Hegel (" qui attend son tour dans les limbes ") : " Il n'y a d'intérêt que là où il y a contradiction.".
Plus loin encore (page 37) il cite Helvetius : " à vivre comme tout le monde, on a les pensées de tout le monde".

Vous comprendrez, grand amoureux d'Amsterdam, que cela me ravit .
(à suivre)