sâmbătă, 30 mai 2020

DELVAUX, MAGRITTE, DE CHIRICO


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Paul Delvaux, quand le rêve devient peinture

Paul Delvaux, fils de l’avocat Jean Delvaux et de Laure Jamotte naît le 23 septembre 1897 à Antheit, près de Huy. Tour à tour post-impressionnisteexpressionniste puis surréaliste, ce peintre belge connut, de son vivant, une célébrité liée à l’engouement pour le Surréalisme et la psychanalyse. Paris lui consacra une magnifique rétrospective en 1991, trois ans avant sa mort. Depuis, la renommée internationale de l’artiste n’a pas faibli, sa cote sur le marché de l’Art reste élevée : son tableau Les mains, de 1941, s’est vendu 6,6 millions de $ en 2011 – tandis que Le nu au mannequin de 1947 a été adjugé pour 5,4 millions de $ en 2012.
Subissant l’ascendant de sa mère (femme autoritaire et, dira-t-on, castratrice), Paul Delvaux est élevé dans la crainte du monde féminin. Il a également subi l’influence de son meilleur ami, éminent artiste peintre lui aussi, Émile Salkin, qui l’a entraîné à dessiner et l’a notamment amené au musée d’histoire naturelle de Bruxelles, où ils ont tous deux dessiné et peint des squelettes.
Après des études à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles où il se forme au dessin avec le peintre symboliste Jean Delville et à la peinture décorative avec Constant Montald. Son univers favori est la gare de chemin de fer (« Trains du soir »). Il expose en 1924 avec le groupe « Le Sillon », qui rassemble des artistes post-impressionnistes. Son oeuvre traverse ensuite une brève période expressionniste, qui témoigne de son admiration pour Constant Permeke, Gustave De Smet et James Ensor (Le couple, 1931). Mais, bien qu’il ait déjà signé des chefs-d’œuvre reconnus comme tels, il ne vend pas. En 1928, 1929 et 1930, il se cherche, veut changer de style mais ne trouve pas. Il va détruire cinquante de ses tableaux de cette époque. Il n’aime pas et n’aimera jamais ses productions de ces années-là.

La révélation

Au début des années 1930, Delvaux trouve enfin son inspiration dans ses visites à la Foire du Midi de Bruxelles, où le Musée Spitzner, une attraction de curiosités médicales, présente en devanture des squelettes et une Vénus mécanique dans une embrasure encadrée de rideaux de velours rouge. Ce spectacle captive Delvaux, lui fournissant des motifs qui apparaîtront tout au long de son travail ultérieur.
C’est en 1934, toujours au Palais des Beaux-Arts – lieu des révélations – que Paul Delvaux découvre l’œuvre de Giorgio de Chirico, notamment « Mélancolie et mystère d’une rue », à l’exposition du Minotaure, où sont également réunies des toiles de Ernst, Dali et Magritte. Car c’est bien de Chirico, plus que Magritte et le surréalisme, qui a été l’initiateur qui (…) a amené Delvaux à voir et à donner à voir la poésie dans la peinture. Il n’a d’ailleurs jamais adhéré au mouvement surréaliste (il expose néanmoins avec eux à Paris en 1938). Il n’en a pas moins créé, à partir de 1935, une série d’œuvres d’une unité si profonde que n’importe lequel de ses tableaux se reconnait au premier coup d’œil.
Élu correspondant de l’Académie royale de Belgique (classe des Beaux-Arts) le 5 juillet 1956 ; membre, le 3 juillet 1958. Paul Delvaux a reçu une faveur nobiliaire du roi des Belges mais il n’y donna pas suite.
Dans le village de Saint-Idesbald, sur la côte belge où il a vécu longuement à partir de 1945, on trouve, depuis 1982, un musée privé qui lui est consacré. Attenant à la Fondation Paul Delvaux, fondée de son vivant par l’artiste lui-même, ce musée renferme la plus importante collection au monde de toiles, dessins et estampes du peintre.

Thèmes récurrents

• Les femmes, omniprésentes, sans guère de variantes, presque toujours nues, muettes, esquissant un geste – sorte de synthèse entre l’Ève charnelle et la Vierge : dans le monde de Delvaux, les femmes nues au visage inexpressif sont l’objet d’une fascination émerveillée et inquiète, elles attirent et repoussent, et offrent leur sexualité avec une évidence tranquille, comme une promesse ou un rêve d’étreinte jamais accomplie ;
• les trains et les gares, simplement parce qu’il les trouvait beaux ;
• les temples « à cause de mon professeur de poésie qui me les a fait aimer » et à cause de Chirico ;
• les squelettes (le squelette de la salle de musée où se donnait le cours de musique à l’école primaire et qui l’effrayait, celui qui voisinait avec l’écorché et La Vénus endormie au Musée Spitzner et qui le fascinait, celui qu’il dessine pendant la guerre au Musée d’Histoire naturelle de Bruxelles, celui qui est avant tout la charpente de l’être vivant, l’essence architecturale de l’homme), qui parfois s’animent et deviennent acteurs à part entière – souvent plus vivants que ses personnages aux poses de statues ;
• les savants, inspirés par Otto Lidenbrock, le minéralogiste de Voyage au centre de la Terre, de Jules Verne ;
• Paul Delvaux lui-même, présent dans de nombreux tableaux, souvent nu, jeune homme ou encore enfant (La visite, 1939), comme un personnage égaré par rapport à la scène qu’il représente.
Le climat général, lui, est créé par le décor, temples, colonnades, arcades, places, perspectives (de Chirico n’est jamais loin), gares, rues, nuit, lampadaires – avec des anachronismes contribuant à l’Atemporalité et à l’Intemporalité des ses œuvres.
Alors, bien sûr, la peinture de Delvaux n’est pas moderne. Peinture figurative, empruntant aux perspectives et à l’équilibre architectural de la Renaissance, peinture immobile et paisible, à l’aspect lisse, appliqué, réaliste dans le plus petit détail, toute en harmonie, elle n’en dégage pas moins une atmosphère poétique tout à fait unique. Comme il fait bon, dès lors, se perdre dans ses tableaux ! D’ailleurs, Delvaux disait vouloir « peindre un tableau fabuleux dans lequel je vivrais, dans lequel je pourrais vivre ». En 1983, il ajoutait : « J’ai toujours eu une grande joie à peindre et j’ai vécu tous mes tableaux pendant que je les exécutais ». Et cette démarche, sincère, profondément authentique, se ressent. Car ce peintre, qui mourut à presque 100 ans, a toujours conservé cette âme d’enfant sensible et imaginatif, fasciné par les trains, passionné par la lecture de Jules Verne et par le monde gréco-latin enseigné par son professeur.
Même en amour, il resta attaché à sa jeunesse, épousant sur le tard son « coup de foudre » de jeune homme auquel il avait dû renoncer sous l’emprise parentale : Anne-Marie de Maertelaere, qu’il épouse en 1951. Ils ne se quitteront plus.
C’est le jour où celle qu’il surnommait Tam est morte, le 21 décembre 1989, que Paul Delvaux a rangé définitivement crayons et pinceaux. Il faut dire qu’il avait alors 92 ans et que sa vue baissait – ce qui ne semble pas l’avoir angoissé plus que ça : « Je ne vois plus bien mes toiles. Mais il y a tant d’autres choses dans la vie. Boire un bon verre de vin, par exemple. Il n’est pas nécessaire de bien voir pour ça ». En 1992, il confirmait : « Je ne vois plus et je n’entends plus, mais vivre m’intéresse toujours ».
Il est mort le 20 juillet 1994, paisiblement, dans sa maison de Furnes.
Il avait 96 ans.

Galerie

Voici maintenant, pour le plaisir, réunies plus de 150 œuvres de cet artiste dont Jacques Sojcher, écrivain belge, parlait en ces termes : « Paul Delvaux n’a jamais aimé les étiquettes, les classifications. Pour lui chaque artiste est singulier, irréductible à un système, à une école, à un isme. Il admire, avec la modestie d’un artisan et la sensibilité d’un poète, Van Eyck, Piero della Francesca, Botticelli, Le Titien, Vélasquez, Rembrandt, Georges de la Tour, Ingres, Cézanne, Picasso, de Chirico et, plus proches de nos terres et de nos cieux, Ensor, Permeke, Gustave de Smet. Sa peinture est, elle aussi, exercice d’admiration, transformation du monde de son enfance, de son adolescence en tableau fabuleux. C’est une mémoire devenue passé absolu, éternisé, affranchi du temps, un cortège à l’arrêt de personnages, de monuments, d’objets familiers devenus figurants, figures du mystère, poésie. »
Je vous invite à entrer dans le monde onirique de Paul Delvaux – car c’est bien de rêve qu’il s’agit, où les émotions transmises se mêlent d’un sentiment d’étrangeté et de distance…
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René Magritte, des idées sous le chapeau

René Magritte est né le 21 novembre 1898 à Lessines en Belgique, est mort à Bruxelles le 15 août 1967, et était peintre.
Bon, évidemment, quand on a dit ça, on n’a rien dit. On peut alors ajouter que ce Monsieur à l’air tellement sérieux sur les photos fut tour à tour impressionnistedadaïstesurréaliste. Pour devenir simplement lui, c’est à dire un artiste essentiel du XXe siècle, tant ses tableaux sont entrés dans l’inconscient collectif populaire par leur aspect à la fois « décoratif », symbolique et mystérieux (il est sans doute, avec Picasso et Warhol, le peintre dont les tableaux sont le plus immédiatement reconnus dans le monde entier).
La peinture de Magritte s’interroge sur sa propre nature, et sur l’action du peintre sur l’image. Elle n’est pas la simple représentation d’un objet réel, mais le résultat de l’action de la pensée du peintre sur cet objet (comme dans son fameux tableau d’une pipe qui n’en est pas une : La trahison des images).
« Je veille, dans la mesure du possible, à ne faire que des peintures qui suscitent le mystère avec la précision et l’enchantement nécessaire à la vie des idées », déclarait-il.
But atteint. Ses tableaux surprennent, interrogent et enchantent. Ils nous happent. Et avec eux, comme Alice, nous passons de l’autre côté du miroir, au pays des merveilles et de tous les possibles. Son talent est de nous faire rêver tout éveillé. Chapeau bas – un chapeau melon, bien sûr !
La jeunesse de Magritte se construit sur deux figures diamétralement opposées : un père voyageur de commerce à la conduire immorale, provocateur, flambeur, parieur aux courses hippiques, qui insuffla à ses trois enfants (René a deux frères, Raymond et Paul) le goût de la subversion et du blasphème ; une mère taciturne et très pieuse. On peut retrouver ces deux opposés dans l’être protéiforme qu’est devenu René Magritte : transgressif et conservateur, dada et philosophe, sérieux et enfantin, solaire et cruel.
Lorsque sa mère se suicide, Magritte a 14 ans et se retrouve stigmatisé à l’école comme « le fils de la noyée » – ce qui fera chuter ses résultats scolaires. Sa chance sera de rencontrer Georgette, la femme d’une vie, muse, inspiratrice, mère de substitution et d’absolution. Une rencontre à partir de laquelle il peut se résilier, cultiver l’humour contre la mélancolie, travailler au dépassement d’un passé peu reluisant dans le réenchantement du réel, ce qui a permis à son œuvre de ne pas devenir trop introspective, mélancolique, et déprimante.

Georgette Magritte

C’est en 1914 que René Magritte rencontre, à la foire de Charleroi, Georgette Berger. Mais il doit partir pour Bruxelles et ne reverra Georgette qu’en 1920 alors qu’elle est vendeuse au magasin où il se fournit en peinture et matériel.
Magritte n’a encore que seize ans quand il s’installe à Bruxelles. Il s’inscrit à l’Académie des Beaux Arts l’année suivante, connaît la bohème, lit Nietzsche et Poe avec frénésie, fait de nombreuses rencontres déterminantes avec lesquels il fait les 400 coups. Jusqu’au mariage avec Georgette, c’est une période de déchaînements, reflétant une vie cérébrale passionnée et inquiète.
Georgette épouse René Magritte le 28 juin 1922 à Saint-Josse, Bruxelles. Ils ne se quitteront plus. Elle devient sa muse et la femme de toute une vie. Le jeune couple s’installe à Laeken, au 7 rue Ledeganck. Magritte fait fabriquer le mobilier de leur appartement d’après ses propres dessins.
Le groupe surréaliste de Bruxelles s’ébauche dès 1924 avec le rapprochement de Nougé, Goemans et Lecomte, avec Mesens et Magritte, puis de Louis Scutenaire et Irène Hamoir en 1926. Paul Nougé (communiste utopiste en lutte pour une liberté totale de l’esprit, contre les valeurs bourgeoises et l’idolâtrie de toute sorte) l’incite à un regard critique sur les avant-gardes et le goût superficiel des dadaïstes pour le scandale, tandis que Marcel Lecomte l’initie en 1923 à l’œuvre métaphysique de De Chirico à travers une reproduction du Chant d’amour, peint en 1914 (voir ci-dessus), ce qui le sort de son adolescence cubiste et futuriste. C’est sa plus grande émotion artistique : « Ce fut un des moments les plus émouvants de ma vie : mes yeux ont vu la pensée pour la première fois », écrira-t-il en se souvenant de cette révélation. « J’ai compris que j’avais enfin trouvé ce qu’il fallait peindre et je m’y suis tenu. Ma peinture n’a plus changé d’orientation. ». De Chirico devient donc son maître à penser pictural le plus important. Il redécouvre le mystère des objets, et s’intéresse moins au style qu’à ce qu’il faut peindre.
(C’est la découverte de De Chirico, dix ans plus tard, qui mettra également Paul Delvaux sur la voie : « J’ai découvert grâce à lui que la peinture n’était pas uniquement de la peinture. C’est aussi de la poésie. »)

Paris

En 1926, un contrat avec la galerie Le Centaure de Bruxelles offre à Magritte la possibilité de peindre à plein temps. Le couple tente alors l’aventure parisienne – mais s’installe en banlieue – et fréquente André Breton, Paul Éluard et le groupe surréaliste parisien avec lequel René participe au dernier numéro de La Révolution surréaliste avec un texte majeur : Les mots et les images.
Au printemps 1929, René rencontre Salvador Dalí qui est à Paris pour le tournage du film Un chien andalou. Les Magritte sont invités à passer des vacances à Cadaqués en Espagne avec Dalí et, entre autres, Paul et Gala Éluard. Mais, finalement déçus par Breton et adhérant peu au mode de vie des surréalistes français, le couple décide de quitter la France. D’ailleurs, la galerie Le Centaure ferme fin 1929, mettant fin aux revenus de Magritte. Pour vivre, il doit donc, parallèlement à sa peinture, reprendre ses travaux publicitaires (qu’il appelait ses travaux imbéciles). Pour cela, il ouvre, avec son frère Paul, une agence publicitaire : Studio Dongo.
En 1931, René et Georgette s’installent à Jette, commune du Nord-Ouest de Bruxelles. L’appartement qu’ils louent sert également de quartier général au groupe surréaliste bruxellois entourant Magritte.
La peinture de Magritte connaît un tournant vers 1933 avec la découverte des affinités électives (« Une nuit je m’éveillai dans une chambre où l’on avait placé une cage et son oiseau endormi. Une magnifique erreur me fit voir dans la cage un oeuf au lieu de l’oiseau. Je tenais là un nouveau secret poétique étonnant. »)
En 1939, la belle-sœur de Magritte ouvre un magasin de fourniture pour artistes. Georgette y travaille à mi-temps et Magritte s’y approvisionne.

Période Renoir et période Vache

Pendant l’occupation de la Belgique lors la Seconde Guerre mondiale, Magritte reste à Bruxelles. Il adopte brièvement un style coloré en 1943-44, intermède connu comme sa « période Renoir », en réaction à son sentiment d’aliénation lors de ce temps d’occupation de la Belgique. En 1946, il signe le manifeste du « Surréalisme en plein soleil », façon pour lui de résister, de fuir la tristesse de la guerre, de se rebeller aussi contre une peinture surréaliste devenue aussi sinistre et effrayante qu’une armée en marche, en stimulant au contraire l’ivresse, le désir de création et de liberté.
En 1948, c’est sa première exposition personnelle à la Galerie du Faubourg à Paris. Pour l’occasion, fâché d’avoir dû attendre d’avoir cinquante ans pour être enfin reconnu par la scène parisienne, Magritte peint en six semaines une quarantaine de tableaux et de gouaches dans un style provocateur et grossier, Néo-expressionniste avant l’heure. C’est sa « Période Vache », dont aucune œuvre ne sera vendue à Paris.

Les États-Unis

Alexander Iolas, pianiste et danseur grec qui s’est installé à New York pour fuir le régime nazi après avoir vécu à Berlin et Paris, est un grand collectionneur d’art, qui a acheté très jeune les surréalistes (suivront les nouveaux réalistes et tous les courants nouveaux en général – il sera le premier à exposer Andy Warhol et un des premiers soutiens actifs de Niki de Saint Phalle). En 1947, conscient de la demande pour l’art surréaliste aux USA, il rentre en contact avec Magritte. Très vite, celui-ci expose à la Hugo Gallery, dont Iolas est directeur depuis 1944 et ce dernier devient son agent jusqu’au décès de l’artiste, lui achetant la totalité de sa production (ou de ce que Magritte n’anti-date pas pour se passer de ses services !). Les expositions se succèdent, consacrant l’artiste au cours des années 50 et 60.
En 1954, les Magritte déménagent dans un rez-de-chaussée au 207 du boulevard Lambermont à Schaerbeek. En 1965, René et Georgette se rendent à New York pour l’ouverture de l’exposition au MoMA. Ils visitent et séjournent également à Houston.
Le 15 Août 1967, René Magritte meurt chez lui d’un cancer du pancréas. Il est enterré au cimetière de Schaerbeek. Georgette meurt en 1986.

Magritte, peintre des idées

« La forme ne m’intéresse pas, je peins des idées », écrit dès 1923 l’artiste, devenu l’interlocuteur privilégié des philosophes de son temps. Car Magritte a tout autant écrit que peint, en témoignent ses riches correspondances avec Alphonse De Waelhens (premier traducteur en français d’Être et temps, de Martin Heidegger) ou avec Michel Foucault, qui publiera en 1973 un ouvrage intitulé Ceci n’est pas une pipe, fruit de ses échanges avec l’artiste. C’est son mentor, le poète surréaliste Paul Nougé, qui initie Magritte à la lecture des grandes œuvres philosophiques, lesquelles bouleverseront son approche artistique, jusqu’à pousser son ambition à faire de la peinture « une expression affinée de la pensée ». Et non pas de l’inconscient ou des rêves comme chez les surréalistes. Car c’est finalement presque sur un malentendu que Magritte est considéré comme un surréaliste. Il est en réalité bien plus proche de l’école métaphysique de De Chirico. Il prendra d’ailleurs rapidement ses distances avec les amis d’André Breton pour se consacrer exclusivement à la résolution de ce qu’il nomme des « problèmes », l’élucidation méthodique d’une équation visuelle, qu’il s’emploie à résoudre à partir de motifs obsessionnels (les mots, les « corps morcelés », les flammes, les rideaux, les feuilles, les grelots, les bilboquets, etc.), ses tableaux devenant comme des phrases codées, des défis énigmatiques.
Là où Breton célébrait l’inconscient, Magritte recherche l’hyper-conscience (rendre conscient de la place où se situe l’homme dans le monde – ou plutôt, partant du constat que « tout se passe dans notre univers mental », le monde dans l’homme). On peut d’ailleurs retrouver dans La condition humaine (quatre tableaux datés de 1933 et 1935), tous les éléments de la théorie platonicienne de la caverne (des prisonniers dont le confinement à l’intérieur d’une grotte trompe sur la réalité du monde).
L’importance des mots chez Magritte est patent. Déjà, ils servent à nommer les tableaux, les titres faisant pleinement partie de l’œuvre. On raconte qu’ils étaient choisis par Magritte et ses amis, réunis autour du tableau et avançant des propositions dont une seule était retenue pour sa valeur énigmatique, expression de l’inattendu. Parfois même les mots se retrouvent dans le tableau. De toute façon les images, les mots et les idées ne constituent pas pour Magritte trois ordres séparés mais trois modes spécifiques de la même réalité : la pensée. Les mots participent donc, tout autant que les objets peints, à l’entreprise magritienne, à savoir créer du mystère : « Les objets ne se présentent pas comme mystérieux, c’est leur rencontre qui produit du mystère » ; « Les titres sont choisis de telle façon qu’ils empêchent aussi de situer mes tableaux dans une région rassurante que le déroulement automatique de la pensée lui trouverait afin de sous-estimer leur portée » ; « Les titres doivent être une protection supplémentaire qui découragera toute tentative de réduire la poésie véritable à un jeu sans conséquence ». 

La Galerie

Voici maintenant un panorama, forcément limité (l’œuvre de Magritte se composant de milliers de tableaux disséminés aux quatre coins du globe dans des collections privées) de la production de cet artiste unique, attachant mais dont l’œuvre est souvent trop superficiellement survolée…
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Giorgio de Chirico, l’énigme d’un peintre

Giorgio de Chirico, né le 10 juillet 1888 à Volos en Thessalie (Grèce), et mort le 20 novembre 1978 à Rome (Italie), est un peintre, sculpteur et écrivain italien dont les œuvres, unanimement admirées des surréalistes jusqu’en 1925, ont ensuite été rejetées tout aussi unanimement.
Son père, amateur d’art et de voile, lui fait découvrir la Grèce antique. Sa mère, née à Smyrne, en Turquie, d’une famille d’origine italienne, est chanteuse d’opéra. À l’âge de 12 ans, De Chirico est inscrit à l’Institut polytechnique d’Athènes puis à l’académie des Beaux-arts, où il suit des cours de dessins et de peinture. Après la mort de sa sœur, puis de son père, en 1905, il quitte la Grèce pour Milan puis Munich avec sa mère et son frère cadet Andrea. Il fréquente l’académie des Beaux-arts dont il suit les cours sans enthousiasme. Mais il découvre les œuvres de Friedrich Nietzsche et Arthur Schopenhauer et les tableaux d’Arnold Böcklin et de Max Klinger.

Pittura metafisica

À Florence, durant l’automne 1910, de Chirico commence une série de tableaux dont le mot énigme revient souvent dans les titres : Énigme d’un soir d’automneL’énigme de l’oracleL’énigme de l’heure… Suivant son frère, Andrea de Chirico, devenu peintre lui aussi (sous le nom d’Alberto Savinio), de Chirico s’installe à Paris et fréquente les « samedis » de Guillaume Apollinaire, où il rencontre Picasso. Il expose ses premières œuvres au Salon d’automne de 1912 et 1913. Apollinaire trouve le peintre « inhabile et moderne », mais après la visite d’une exposition que de Chirico a personnellement organisée dans son atelier de la rue Notre-Dame-des-Champs, Apollinaire donne, dans Les Soirées de Paris, un compte rendu plus enthousiaste : « L’art de ce jeune peintre est un art intérieur cérébral qui n’a point de rapport avec celui des peintres qui se sont révélés ces dernières années. Il ne procède ni de Matisse ni de Picasso, il ne vient pas des impressionnistes. Cette originalité est assez nouvelle pour qu’elle mérite d’être signalée. Les sensations très aiguës et très modernes de M. de Chirico prennent d’ordinaire une forme d’architecture. Ce sont des gares ornées d’une horloge, des tours, des statues, de grandes places, désertes ; à l’horizon passent des trains de chemin de fer. Voici quelques titres simplifiés pour ces peintures étrangement métaphysiques : L’Énigme de l’oracleLa Tristesse du départL’Énigme de l’heureLa Solitude et le sifflement de la locomotive. ». Dès lors, Apollinaire, dès 1913, introduit l’artiste dans son cercle – Picasso, Derain, Max Jacob, Braque, Picabia, etc. – lui faisant également connaître Paul Guillaume, son premier marchand.
De Chirico reprend à son compte le qualificatif « métaphysique » et, de retour en Italie, à Ferrare, en 1915, fonde le mouvement Pittura metafisica avec le peintre futuriste Carlo Carrà. Malgré sa fréquentation des milieux nationalistes de l’avant-garde culturelle italienne, notamment le peintre Ardengo Soffici, et le futuriste Giovanni Papini, deux expositions organisées à Rome suscitent l’hostilité des critiques d’art. On l’accuse d’« incapacité picturale » et cette accusation est doublée de réactions xénophobes : « De Chirico est un étranger non diplômé et ignorant de la grande peinture italienne. » De Chirico réagit en étudiant la peinture de la Renaissance, de Raphaël et du Titien – et ceci explique sans doute, en partie, sa déroutante période romantico-baroque des années 1920-1930 (voir plus loin).

Ariane

Selon le mythe grec, Ariane était la fille de Minos, roi de Crète, et de Pasiphaé. Elle donna à Thésée, venu en Crète pour combattre le Minotaure, le fil à l’aide duquel il put sortir du Labyrinthe après avoir tué le monstre. Thésée l’enleva, puis l’abandonna dans l’île de Naxos, où Dionysos, dieu de la vigne et du vin, la trouva solitaire et mélancolique et la consola.
La période durant laquelle Ariane se retrouva seule à Naxos a très largement inspiré les artistes de l’Antiquité, qui réalisèrent plusieurs statues de la princesse étendue sur un lit de pierre, le genou relevé et la main qui va soutenir la tête endolorie. Un des exemplaires de cette sculpture grecque (peut-être une copie romaine) fut acheté par le Pape Léon X en 1521 et entra alors aux Musées du Vatican de Rome. C’est en ce lieu qu’en 1912, Giorgio de Chirico fit la rencontre d’Ariane, qui devint dès lors un topos dans son œuvre picturale (voir exemple ci-contre) : l’artiste, qui utilisait une réduction en plâtre de la statue comme modèle, la fait figurer dans de nombreux tableaux, notamment ses Places d’Italie (voir plus loin).
Symbole de la mélancolie autant que de l’artiste abandonné par la société, Ariane exprime le tempérament saturnien de l’être artiste seul au monde, devant faire face à l’ombre, à la négation, au non-être, à la mort. De Chirico a écrit dans son poème La volonté de la statue : « Le soleil s’est arrêté tout en haut au centre du ciel ; et la statue dans un bonheur d’éternité noie son âme dans la contemplation de son ombre ».

Giorgio de Chirico et les surréalistes

En 1923, d’une plate-forme d’autobus, Yves Tanguy aperçoit le tableau Le Cerveau de l’enfant (1914) exposé dans la vitrine de la galerie de Paul Guillaume. Il saute du bus en marche pour le voir de plus près. Sans le savoir, André Breton reproduit la même réaction, six ans plus tard, quand, apercevant ce même tableau, il saute lui aussi de l’autobus en marche. À force d’insistance, Breton réussit à acheter ce tableau qui restera chez lui jusqu’à sa mort.
En 1924, René Magritte connaît sa plus grande émotion artistique : la découverte d’une reproduction du Chant d’amour de Giorgio de Chirico (1914). « Mes yeux ont vu la pensée pour la première fois », écrira-t-il en se souvenant de cette révélation.
En 1928, Breton publie « le Surréalisme et la peinture » où il écrit « Il m’est impossible de considérer un tableau autrement que comme une fenêtre dont mon premier souci est de savoir sur quoi elle donne… Et je n’aime rien tant que ce qui s’étend devant moi à perte de vue ».
On peut difficilement donner une meilleure définition des tableaux métaphysiques de Chirico. D’ailleurs, celui-ci est présent à Paris, en 1925, lors de la première exposition surréaliste à la gallerie Pierre (qui regroupe, outre De Chirico, Klee, Arp, Ernst, Man Ray, Miró, Picasso et Roy). Mais il rompra définitivement avec les artistes de ce mouvement à peine 3 ans plus tard.
C’est aussi en découvrant un tableau de Giorgio de Chirico en 1934, Mélancolie et mystère d’une rue (1914), que Paul Delvaux a la « révélation » du surréalisme.

Période romantico-baroque

Vers la fin des années 1920, après avoir désavoué certaines de ses œuvres, Giorgio de Chirico continue sa recherche où s’allient une vive conscience technique et le respect de la tradition, ainsi que le refus de l’art contemporain. Il se convertit alors à un style néoclassique (puis néoromantique et néobaroque), exaltant les valeurs du métier artisanal et de l’iconographie traditionnelle. Dans un article de 1919, intitulé Il Ritorno al mestiere (Le Retour au métier), de Chirico se définit comme pictor classicus (Pictor classicus sum, telle est désormais sa devise). Il voit la peinture d’avant-garde italienne comme un phénomène de décadence éthique travestie de l’idée illusoire du progrès. Il encourage donc les jeunes peintres à un retour à la tradition et l’étude assidue des grandes œuvres du passé – n’oublions pas que de Chririco a vécu en Grèce jusqu’à ses 18 ans, un pays où, pour beaucoup, les splendeurs de l’antiquité semblent à jamais indépassables ; et c’est un peu la même chose en Italie.
En 1923, le groupe Valori plastici rompt avec le futurisme en publiant une sorte de manifeste Le Néo-classicisme, dont « le ton paraît […] bien proche du fascisme arrivé au pouvoir ». De Chirico adhère à Valori plastici. Il peint ses séries de Villes romainesFils prodigueArgonautes, chevaux et autres Gladiateurs, à la grande déception d’André Breton : « Chirico, en continuant de peindre, n’a fait depuis dix ans que mésuser d’un pouvoir surnaturel… Cette escroquerie au miracle n’a que trop duré. »
La rupture définitive avec les surréalistes intervient en 1928. En réponse à sa nouvelle exposition organisée par Paul Guillaume, les surréalistes organisent une contre-exposition à laquelle ils donnent pour titre Ci-gît Giorgio De Chirico. Dans un compte rendu de cette exposition, Raymond Queneau conclut « qu’il est inutile de s’attarder derrière [ce] grand peintre […] Une barbe lui a poussé au front, une sale vieille barbe de renégat ».

Les bains mystérieux

Cocteau est un des rares qui a toujours gardé son admiration pour Chirico. En 1929, ce dernier entreprend d’illustrer « Mythologie », un texte de Cocteau, avec dix lithographies en noir et blanc, connues sous le titre de Bains mystérieux, et qui seront publiées en 1934 aux Éditions des Quatre Chemins. Il en tirera, parfois bien des années plus tard, une série de toiles étonnantes où des éphèbes nus barbotent dans des bassins dont la surface est striée de chevrons « inspirés par les parquets cirés trévisans dans lesquels on se reflète », reliés par des canaux, et surmontés d’étranges cabines de bain sur pilotis – tandis que, tout autour, des hommes en costume observent…

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