LES AVANT-GARDES RUSSES
Les années précédant la révolution d'Octobre et lui succédant immédiatement voient se dégager sur le sol russe (et au-delà, les artistes russes ne cessant de voyager vers les pôles de la création) des courants artistiques extrêmement novateurs dont l'influence sur l'art occidental est considérable. L'année 1910 est capitale : tandis que, à Moscou, une exposition, « Le valet de carreau », rassemble des courants artistiques aussi originaux que variés – « cézannisme » d'un Kontchalovski, néoprimitivisme d'un Larionov ou d'un Malevitch, expressionnisme d'un Jawlenski ou d'un Kandinsky –, le même Kandinsky, à Munich, invente l'abstraction.
SUPRÉMATISME ET CONSTRUCTIVISME
En 1912, la synthèse des principes du cubisme, du futurisme et du néoprimitivisme est réalisée par le mouvement cubo-futuriste, représenté essentiellement par Malevitch et par Tatline. Le premier sera le chef de file d'un nouveau mouvement, le suprématisme, tandis que le second, avec ses premiers contre-reliefs, imaginera le constructivisme. Alors que Kandinsky est rentré en Russie dès le commencement de la Première Guerre mondiale, les deux courants dominants à Moscou en 1917 sont le suprématisme et le constructivisme. Ce dernier mouvement intègre l'espace comme facteur pictural essentiel de l'œuvre, et prend la vie comme champ d'action de l'art : le peintre, devenu sculpteur et ingénieur, participe à la transformation du monde. Élaboré en 1919-1920, le projet de Monument pour la IIIe Internationale résume parfaitement les intentions constructivistes de Tatline, qui trouvent des applications pratiques dans les années qui suivent la révolution russe, et qui sont exposées dans le premier numéro de Lef. Dans cette revue publiée en 1923 s'expriment Ossip Brick et Boris Kouchner, principaux théoriciens d'un groupe constructiviste qui systématise les idées de Tatline.
UN ART D'ÉMIGRÉS
Quant au peintre et designer El Lissitzky, c'est à Berlin qu'il édite la revue Vechtch - Gegenstand - Objet, en 1922 : il séjournera en Allemagne et en Suisse jusqu'en 1930. D'abord inspiré par le suprématisme, Aleksandr Rodtchenko rejoint le constructivisme et crée, avec ses « constructions suspendues », les premiers mobiles de l'histoire de l'art. Plus tard, il exécutera des décors pour le théâtre où le constructivisme trouve particulièrement à s'exprimer, notamment avec la théorie « biomécanique » de la vie scénique défendue par Vsevolod Meyerhold, metteur en scène qui incarne le nouveau théâtre révolutionnaire. Les frères Antoine Pevsner et Naum Gabo, après des voyages en France et en Allemagne, sont surpris en Russie par la Première Guerre mondiale ; ils quitteront l'Union soviétique en 1922 et continueront de travailler à des constructions suivant le principe que « le volume n'est pas le seul concept spatial ». Toutefois, le souci du rôle social de l'art est absent de leurs œuvres.
FACE AU RÉALISME SOCIALISTE
Tandis que les avant-gardes russes, portées en Europe et aux États-Unis par les artistes émigrés, y ouvrent les voies de la modernité, en URSS elles seront bientôt abandonnées, voire condamnées, devant la montée de l'art officiel : le réalisme socialiste. Toutefois, elles auront parfois participé à la célébration du nouveau régime : élevé sur la place Rouge entre 1924 et 1930, d'abord en bois, puis en granit rouge, le mausolée de Lénine, dû à Alekseï Chtchoussev – qui avait aménagé la gare de Kazan en un style éclectique –, relève d'un constructivisme mesuré.
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Kazimir Malevitch
Peintre et théoricien russe d'origine polonaise (près de Kiev 1878-Leningrad 1935).
Figure de proue de l’avant-garde russe, Kazimir Malevitch donna naissance à l’un des courants de l’abstraction, connu sous le nom de « suprématisme ». Aussi a-t-il joué dans l’évolution de l’art moderne un rôle comparable à ceux de Kandinsky et de Mondrian.
LA FORCE DES INFLUENCES
Issu d’une famille d’origine polonaise, Kazimir Malevitch est destiné par son père à la prêtrise. Dès l’âge de 10 ans, il cultive cependant ses dons artistiques en recourant à des couleurs vives et à des formes géométriques pour peindre et dessiner. Après avoir fréquenté les Beaux-Arts de Kiev, il s’installe à Moscou en 1904 afin de s’y inscrire à l’Académie de peinture. En même temps que l’art de l'icône, il découvre la peinture française. Il se lie par ailleurs avec Michel Larionov et son épouse Natalia Gontcharova, dont les œuvres mêlent inspiration populaire et innovation formelle. À ses premières toiles, plutôt impressionnistes (Femme à la fleur, 1903, Musée russe, Saint-Pétersbourg ; Pommiers en fleurs, 1904, ibid.), succèdent en 1907-1908 de grandes gouaches qui, par la violence de leurs couleurs, rappellent les fauves, mais qui font aussi penser aux expressionnistes allemands de Die Brücke. Malevitch est ensuite de toutes les manifestations de l’avant-garde russe : expositions du « Valet de carreau » (1910), de « la Queue d'âne » (1912) et de « la Cible » (1913). À l’invitation de Kandinsky, il participe aussi à la deuxième exposition du Blaue Reiter (1912).
En 1913, Malevitch découvre le mouvement futuriste, exaltant la civilisation urbaine et technicienne, en réalisant les décors et les costumes d’un opéra intitulé la Victoire sous le soleil. Il est certain qu’à Moscou il a également pris connaissance des toiles de Picasso acquises par des collectionneurs. Au futurisme il va emprunter la couleur et au cubisme, la fragmentation des volumes – d’où la tendance dite « cubo-futuriste » qui le caractérise (le Bûcheron, 1912, Stedelijk Museum , Amsterdam ; Un Anglais à Moscou, 1914, ibid.). Plus curieusement, plusieurs de ses autres tableaux annoncent le dadaïsme.
L'AVÈNEMENT DU SUPRÉMATISME
En 1915, à Petrograd, Malevitch présente son fameux Carré noir sur fond blanc dans le cadre de l’exposition « 0.10 » (« Le carré noir est un enfant royal plein de vie. C’est le premier pas de la création pure en art », Écrits, tome I). En abordant l'abstraction, il fixe son attention sur le rapport entre la forme et l'espace qui l'entoure (Composition suprématiste, 1915, Stedelijk Museum, Amsterdam). Il crée ainsi une tension qui semble faire vibrer la toile. Sa volonté est d'atteindre à l'essence, difficile à saisir, de la forme, d'élever la peinture à une expression parfaite, qu'il nomme « suprême ». Il en expose la théorie dans son essai intitulé Du cubisme et du futurisme au suprématisme (1916). S'étendant à la couleur et poussée jusqu'à ses dernières limites, cette conception le fait passer du Carré noir sur fond blanc (Musée russe, Saint-Pétersbourg) au Carré blanc sur fond blanc (1918, MoMA, New York). Seule une légère inflexion de la touche sépare le carré du fond sur lequel il apparaît. La forme a cessé d'être un signe de l'espace pour devenir une allusion à l'espace, et le tableau lui-même, par sa présence matérielle, n'est plus qu'une allusion à la peinture. « Il ne peut pas être question dans le suprématisme de peinture. La peinture a depuis longtemps fait son temps et le peintre lui-même est un préjugé du passé » (Écrits, tome I).
Après la révolution russe de 1917, Malevitch redouble d'activité. Il enseigne à l'Académie de Moscou, puis à celle de Vitebsk, où il fonde la première école consacrée à l’art moderne. En 1921, il se livre à ses premiers essais de céramiques suprématistes à la manufacture Lomonosov de Petrograd. En 1922, il participe à la première exposition d'art russe à Berlin ; en 1927, il séjourne pendant trois mois en Pologne et en Allemagne, à l’occasion de la rétrospective de son œuvre, qui a lieu à Varsovie puis à Berlin. Les éditions du Bauhaus publient alors son manifeste suprématiste sous le titre le Monde sans objet. Rappelé d'urgence en U.R.S.S., Malevitch tombe en disgrâce. Il renoue alors avec la peinture figurative d’avant la période suprématiste en se consacrant au portrait et au paysage (Paysage aux cinq maisons, 1928-1932, Musée russe, Saint-Pétersbourg).
LE RÉPROUVÉ DU RÉGIME
Malevitch aura appris à ses dépens que révolution politique et révolution artistique ne vont pas forcément de pair. Après s’être rallié dès les débuts au bolchevisme, il en subit les foudres. Ses recherches picturales étant jugées subversives, il est incarcéré à la « Grande Prison » de Leningrad – réservée aux détenus politiques – en septembre 1930 et, pendant deux mois, soumis à d’implacables interrogatoires. Pour ajouter à l’opprobre officiel, ses cahiers de dessins sont saisis et détruits.
Dans un régime totalitaire qui, en 1932, instaure les normes du « réalisme socialiste », l’art est mis en résidence surveillée. Malevitch témoignera de son impuissance face aux événements dans un tableau de 1934, intitulé l’Homme qui court (à sa perte ?). Faute du visa qui lui aurait permis d’aller se faire soigner en France, il meurt des suites d’un cancer. Il est alors inhumé dans un cercueil qu’il avait lui-même orné de motifs suprématistes.
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Mikhaïl Fedorovitch, dit Michel Larionov
Peintre et théoricien russe (Tiraspol 1881-Fontenay-aux-Roses 1964), naturalisé français en 1938.
Après une période impressionniste et un cycle néoprimitiviste, il fonda en 1913, avec N. Gontcharova, le « rayonnisme », qui, par la primauté accordée au rapport dynamique des couleurs, constitue une des premières manifestations abstraites. De 1915 à 1929, il se consacra au décor des Ballets russes.
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suprématisme
Théorie et pratique du peintre Malevitch (à partir de 1913) et de ses disciples, tels Lissitzky, Klioune, Olga Rozanova.
Le nom de ce mouvement d'avant-garde russe dérive du mot « suprême ». Les théories affirmant la souveraineté de la forme abstraite limitée au carré, au rectangle, au cercle, au triangle et à la croix, sont exposées dans les nombreux écrits de Malevitch, mais le mot de « suprématisme » ne figure pas dans le manifeste qu'il publia en décembre 1915. C'est dans les articles de presse qu'il apparut. Puis, Malevitch intitula son essai de 1916 Du cubisme et du futurisme au suprématisme. Le peintre en fixa cependant les débuts en 1913. Son Carré blanc sur fond blanc, exposé à Moscou en décembre 1918, fut l'aboutissement le plus radical de la démarche abstraite.
Après 1920, l'influence du suprématisme se fit sentir dans le domaine des applications pratiques. À travers l'activité de El Lissitsky, cette influence atteignit l'Allemagne, où, dans les milieux du Bauhaus, elle contrebalança celle du néoplasticisme.
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constructivisme
(de constructif)
Mouvement artistique russe, qui reçut sa dénomination en 1920 et connut divers prolongements dans l'art européen.
En littérature, c'est dans la mouvance du futurisme que le constructivisme (mouvement littéraire soviétique) a cherché à créer une poésie fonctionnelle (création du Centre littéraire des constructivistes [1924-1930]).
BEAUX-ARTS
Caractérisé par une rigueur formelle héritée du cubisme et du suprématisme, par une volonté d'intégration des facteurs espace et temps et par l'ambition d'une synthèse des arts plastiques, le constructivisme s'est développé sur deux axes. D'une part, Gabo et Pevsner (Manifeste réaliste, 1920) ont affirmé un art spatial et rythmique, de nature spirituelle ; d'autre part, Tatline et les « productivistes », tel Rodtchenko, ont défendu une unité de l'art et de la technique qui assignait au créateur une fonction sociale. Les applications aux arts graphiques (Lissitzky), à l'architecture et au design furent un souci majeur, à côté des tendances plus esthétiques. À des degrés divers, ces aspects se sont retrouvés dans le Bauhaus, l'avant-garde polonaise, le mouvement De Stijl, etc.
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MARC CHAGALL ET L'AVANT-GARDE ARTISTIQUE RUSSE AU DÉBUT DU XXÈME SIÈCLE
25 MAI 2020
Commentaire artistique
On associe Marc Chagall (1887-1985) à l’avant-garde russe bien qu’il soit resté volontairement à l’écart des théories et des systèmes. Inclassable, il a été ce peintre immense, juif et fier de l’être, qui n’a cessé tout au long de sa longue carrière artistique d’illustrer l’iconographie et les grands moments du Judaïsme.
La Russie est restée longtemps repliée sur elle-même aussi, en ce début du XXème siècle, elle est encore bien lointaine pour les français. Il faut attendre le rôle important de deux grands collectionneurs russes pour que la peinture française, celle de Cézanne, Gauguin, Matisse ou Picasso soit découverte par de jeunes artistes russes qui décident d’aller apprécier sur place le travail de ces peintres. A Paris le fauvisme domine la scène artistique tandis que le Cubisme se met timidement en place.
En arrivant dans la Capitale en 1910, Chagall et ses compatriotes fréquentent l’avant-garde qui explose à Paris. Le brassage d’hommes et d’idées oriente les recherches de grands artistes russes comme les peintre Malevitch, Kandinsky ou Survage et les sculpteurs Zadkine, Archipenko ou Lipchitz…Après s’être installé à la Ruche, Chagall approche l’Ecole de Paris alors en pleine effervescence. Très vite il assimile les nouveautés acquises par les uns et les autres, sans pour autant suivre Kandinsky dans ses recherches sur l’Abstraction ni Malevitch sur le Suprématisme. Malgré son intérêt pour le Cubisme de Braque et de Picasso, Chagall, en coloriste éblouissant, crée une œuvre originale nourrie de légendes russes et de sujets bibliques. Après de nombreux aller et retours entre Vitebsk, sa ville natale, et Paris, il s’installe définitivement dans la Capitale en 1923. La fin de la guerre civile en Russie en 1922 et la nationalisation des artistes par les Bolcheviques, ont forcé ces derniers à s'exiler, pour la plupart d'entre eux en France.
Parmi les peintres importants de l’avant-garde russe citons : Jawlensky (Byzantine aux lèvres pâles) – Larionov (Spirale 1915) – Gontcharova (les Porteuses, 1911) – Rodtchenko (Figure dans un cercle, 1920-22), Malevitch (Carré noir sur fond blanc, 1915 ou Kandinsky. Cette avant-garde russe a occupé une bonne place dans l’histoire de l’art du XXème siècle car elle a engendré le Néo-primitivisme et le Constructivisme, deux courant artistiques importants et largement illustrés.
Avant son installation à Paris, Chagall a réalisé en Russie de nombreuses aquarelles et peintures dont plusieurs sont des oeuvres majeures : « Paysage cubiste » 1918-20, peint lorsqu’il s’intéressait au travail du peintre Delaunay – « Double portrait au verre de vin » 1917-18 – « le Marchand de journaux » 1914 – « Au-dessus de Vitebsk » 1915 – « Le Balayeur » 1914 – « Le Violoniste vert » 1919-20 – « Promenade » 1918…
Avec ses compatriotes, il s’est aussi intéressé au cinéma et au théâtre, et a réalisé les nombreux décors des Ballets russes.
L’avant-garde russe a marqué les trente premières années du XXème siècle français dominées par Chagall, peintre et poète des couleurs et des formes.
Brigitte Roussey
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Avant-garde russe
L'avant-garde russe est un terme générique désignant un large courant très influent d'art moderne qui est apparu en Russie, plus précisément dans l'Empire russe et en Union soviétique.Historique
Selon Pauline Kovalenko l'avant-garde russe court sur une période allant de 1890 jusqu'à 1930, à cheval sur deux contextes politiques, d'abord l'Empire russe, suivi en 1917 par l'URSS.
Le terme regroupe une nébuleuse de mouvements artistiques émergeant au cours de cette époque, distincts mais souvent inextricablement associés comme le symbolisme, le néoprimitivisme, le rayonnisme, le suprématisme, le constructivisme et le futurisme.
Par ailleurs, beaucoup de ces artistes dits « d'avant-garde » étaient nés ou avaient grandi dans ce qui est aujourd'hui devenu la Biélorussie ou l'Ukraine, tels Kasimir Malevitch, Alexandra Exter, Vladimir Tatline, Vassily Kandinsky, David Bourliouk, Alexander Archipenko...
L'avant-garde russe atteignit son apogée dans la période comprise entre la révolution russe de 1917 et 1932 quand les idées d'avant-garde se retrouvèrent en désaccord avec l'émergence du courant réaliste socialiste promu par l'État aux ordres de Staline.
Principales figures emblématiques
Architectes
- Vladimir Choukhov
- Moïsseï Ginzbourg
- Ilya Golossov
- Ivan Leonidov
- Constantin Melnikov
- Iakov Tchernikhov
- Alexandre Vesnine
Plasticiens
- Alexander Archipenko
- Natan Altman
- Oleksandr Bohomazov
- Marc Chagall
- Vladimir Baranov-Rossiné
- David Bourliouk
- Vladimir Bourliouk
- Vera Ermolaeva
- Alexandra Exter
- Pavel Filonov
- Naum Gabo
- Michail Grobman (en)
- Nina Genke
- Nathalie Gontcharoff
- Anna Kagan (es)
- Vassily Kandinsky
- Ivan Klioune
- Gustav Klucis
- Pavel Kouznetsov
- Mikhaïl Le Dentu
- Aristarkh Lentoulov
- Lazar Lissitzky
- Kasimir Malevitch
- Paul Mansouroff
- Mikhaïl Matiouchine
- Vadim Meller
- Solomon Nikritin (en)
- Lioubov Popova
- Jean Pougny
- Kliment Red'ko
- Alexandre Rodtchenko
- Olga Rozanova
- Léopold Survage
- Varvara Stepanova
- Georgii et Vladimir Stenberg (en)
- Vladimir Tatline
- Ilia Tchachnik
- Vasiliy Yermilov (en)
- Nadejda Oudaltsova
- Alexandre Zhdanov (en)
Périodiques, revues
Cinéastes
Écrivains
Metteurs en scène
Poètes
Articles principaux
- Architecture constructiviste
- Avant-garde
- Constructivisme
- Cubofuturisme
- Futurisme russe
- Néoprimitivisme
- Oberiou
- Rayonnisme
- Suprématisme
- Vkhoutemas
- Valet de Carreau, Queue d'âne, Gileia, Aveniristes, Toutisme
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