joi, 24 decembrie 2020

Mark Rothko (1903-1970) / STARI IN GALBEN SI ORANJ

Mark Rothko (1903-1970)
Cet homme pense longuement, prend au sérieux son geste de peintre. Il est méticuleux, secret, réflexif. Son caractère introspectif, méditatif, s'accentue avec l'âge.



Mark Rothko, né Marcus Rothkowitz  à Daugavpils, (Lettonie), le 25 septembre 1903 et mort le 25 février 1970  à New York, est un peintre américain classé parmi les représentants de l'expressionnisme abstrait américain, mais Rothko refusait cette catégorisation jugée « aliénante ».


"Orange et jaune"
Mark Rothko (Marcus Rothkowitz) - 1956


Ce colorisme spiritualisé a balayé le visage et le verbe. L'esprit et l'émotion s'y rejoignent.
gandirea intensitatii

stabilitate armonica




dizolvari

Chap. 9 L'apothéose abstraite I (1949-1970)

"Il a atteint quelque chose."
Jack Tworkov

Paradoxes de la temporalité

[…]

Cette relative lenteur s'explique par l'approfondissement de tout cheminement chez Rothko. Cet homme pense longuement, prend au sérieux son geste de peintre. Il est méticuleux, secret, réflexif. Son caractère introspectif, méditatif, s'accentue avec l'âge. […]

Pour la quatrième et dernière période de son trajet, la non-figuration, sa constance s'accentue. Pendant vingt ans, Rothko s'en tient à la structuration suivante : quelques rectangles de tailles et de couleurs différentes, l'un au-dessus de l'autre (quelques fois l'un à côté de l'autre), angles adoucis, bords flous, voisinant par un étroit vide intermédiaire, qui, en réalité, émerge d'un fond monochrome. Asymétrie horizontale donc, et symétrie verticale. Le format est souvent monumental. Chaque tableau joue sur un nombre réduit de couleurs, de six à deux, par modulations, plus que par contrastes. Quant aux moyens, ils se répartissent ainsi : un peu d'aquarelle, surtout de l' huile, de l' acrylique, de la détrempe, de l'encre, sur papier et toile.

La répétition d'une unique forme abstraite constitue l'une des énigmes les plus passionnantes du travail de Rothko. Il a trouvé ce qu'il cherchait depuis le début : sa peinture est une "poignancy " qui atteint droit la cible du coeur. Par là, elle s'extrait des limites temporelles, atteignant l'esprit en même temps que l'émotion. Touchant peut-être les émotions et pensées de l'esprit, qui apparaît investi d'une vie réelle, bien que sans commencement ni fin. […]

Révélation, miracle, rituel

Rothko semble avoir atteint quelque chose et ne pouvoir qu'essayer de l'atteindre à nouveau. Oui, il vise une vérité, un sens, un absolu, un point à l'infini où fusionnent le beau, le senti, l'éprouvé, le vrai. Et cet ordre de réalité fait paraître les autres inintéressants, ternes, insignifiants.

Mais n'imaginons pas que disparaissent ignorance, doute, souffrance. Au contraire, pour cet homme qui sort de lui-même à chaque miracle de sa peinture, la vie s'éloigne de plus en plus de l'art. Loin de le combler, la révélation artistique lui rend le reste insupportable et le divise un peu plus.[…]

La répétition du même travail plastique ressemble à un rituel. Procéder à quelques gestes, délimiter un espace-lumière. Rothko cherchait une illumination, une extase, un ravissement 3 ; parfois, il y parvenait. Mais, de toutes manières, le tableau achevé, lui, le peintre, s'en éloignait, ressentait une exclusion.

Son ami, le peintre Joseph Solman, évoque : "Une longue route vers le calvaire."

Espace et frontières

Les principes de simplicité et d'unité confèrent aux tableaux rothkiens une sorte d'évidence, de pérennité. "Depuis toujours nous sommes là ", semblent-ils dire.

La forme quadrangulaire, dénuée de tout géométrisme, évoque la matière, le champ, la terre, la pesanteur. Cette impression très spécifique se distingue tout à fait de celles que procurent le cercle, la spirale, l'étoile, le triangle.

Cependant, il s'agit d'impressions paradoxales : pesanteur et légèreté, terre et fluidité, planéité et volume. Quoique saturées, les couleurs semblent immatérielles. C'est bien d'une respiration qu'il s'agit, et non d'une chute vers le sol. Les formes flottent dans un espace à la fois liquide et aérien. Avançant et reculant au gré d'une respiration calme, elles offrent la douceur de la convexité. On se surprend à respirer au rythme du tableau, avec plus d'amplitude, plus de générosité.

Les formats monumentaux accentuent la participation. Le spectateur se laisse attirer, absorber. Rothko tenait beaucoup à cette relation d'intimité ; il était convaincu que le petit format laissait le spectateur à l'extérieur. Ainsi s'explique-t-il :

"Peindre un petit tableau, c'est s'écarter de sa propre expérience, être le spectateur de sa propre expérience, comme si l'on se regardait soi-même avec des lunettes ou avec une loupe. Plus la peinture que vous faites est grande, plus vous êtes dedans. Ce n'est pas quelque chose à quoi vous donnez des ordres."

Là encore, la frontalité n'empêche en rien l'expérience d'une profondeur, un espace à part où l'on entre pour se recueillir. […]

"J'ai peint des temples grecs toute ma vie sans le savoir " , disait Mark.

Ses tableaux les plus équilibrés ont un format presque carré, le rapport entre longueur et largeur est celui de la section d'or, ce sont des carré-soleil. Que le peintre reprenne ce principe d'architecture sacrée n'a rien qui puisse nous étonner. […]

L'orange surélevé d'Orange and Tan (1954) embrase tout l'espace, en est le vecteur ascensionnel. Et Terre et vert (1955) nous offre son paradoxe : le fond bleu, teinte céleste, porte les terriens brun et vert ; dominant, le vert pousse vers le haut son terreau, son socle, sa base.

Loin de tout cloisonnement, comme de tout formalisme, les volumes se dilatent et se rétractent. Ce sont des corps que l'on toucherait. Mais ils sont animés d'une vie autre que physique. Tout entier, le tableau respire, pense et s'émeut. Il est l'effectuation d'une vie-conscience.



L'esprit de la couleur

Tout en réduisant son langage pictural à la forme-couleur, Rothko se défend d'être un coloriste. Il redoute ce contresens sur son oeuvre. On oublierait que le travail sur la couleur a pour but de lui donner toute sa valeur de médium, d'en faire un moyen d'accès à autre chose que du sensuel et du sensible. De même, telle mélodie, tel solo de flûte déplacent votre vision du monde. Tel poème, un jour, modifia votre compréhension de l'amour et du temps.

"Il faut vous souvenir que Mark ne voulait pas être un grand coloriste. Il voulait être un visionnaire ", dit son ami, le peintre William Scharf .

Cependant, nous ne trahissons pas la création non-figurative de Rothko lorsque nous célébrons la qualité lyrique de ses harmonies colorées. Là, il faut nommer Matisse et Bonnard, qui comptèrent beaucoup dans son parcours. Il passa des heures devant le Studio rouge de Matisse au Moma. L'exposition de Bonnard, en 1948, au même endroit, lui révéla la valeur expressive de la couleur. C'est alors qu'il en prit possession, qu'il se mit à aimer les teintes éclatantes et chaudes. […]

Mais ce n'est pas en théoricien que peint Rothko. Seuls le guident, sa faculté sensitive, son intuition, son contact avec l'inconnu. Il veut que la couleur, à elle seule, incarne les passions les plus variées, les pensées les plus nouvelles. Ceci l'amène à une autre position paradoxale : non seulement l'étiquette de coloriste est refusée, mais également celle d'abstrait :

"Je ne suis pas un abstrait ... Ce ne sont pas les relations de formes et de couleurs qui m'intéressent ... mais seulement l'expression des émotions humaines fondamentales - la tragédie, l'extase, la condamnation etc. - et le fait que beaucoup de personnes s'effondrent et pleurent en présence de mes peintures montre que je communique ces émotions humaines fondamentales ... Les personnes qui pleurent devant mes peintures font la même expérience religieuse que moi-même lorsque je les ai peintes. Et si vous n'êtes émus que par les relations entre les couleurs, vous passez à côté de l'essentiel. "

Son ami, le poète Stanley Kunitz, parle d' "une multiplicité de présences rougeoyantes dans une gloire de transformations. " […]

La production flamboyante des années 50 ne doit pas faire oublier d'autres palettes. A côté des teintes vives, nous avons la légèreté des ocres, des blancs et des roses. Les dernières années, c'est la palette sombre qui domine : les gris, les lie-de-vin, les bruns, les violets foncés, les noirs.

Le rouge est la couleur la plus importante chez Rothko, il ne la quittera jamais, l'employant souvent seule. Le dernier tableau, interrompu par le suicide, était une étude de rouges.

Vermillon, carmin, incarnat, tirant sur le rose, le violet, l'orange, voici les rouges. Embrasant un jaune, donnant au noir sa solennité, au blanc sa qualité de silence.

Rothko joue sur les connotations variées du rouge : couleur de genèse, de combativité, de désir, triomphe solaire, révélation, éblouissement, proche de la violence sacrificielle. Les rouges de Rothko sont des consciences émerveillées et terrifiées du monde.

"Couleur sans limites, essentiellement chaude, le rouge agit intérieurement comme une couleur débordante d'une vie ardente et agitée ... Dans cette ardeur, dans cette effervescence, transparaît une sorte de maturité mâle, tournée vers soi et pour qui l'extérieur ne compte guère ", écrit Kandinsky.

La taille des couleurs, ainsi que leurs rencontres déterminent leur impact. Alors que le noir et le rouge se combattent, le blanc et le rouge s'équilibrent, échangent leurs qualités.

Au contact du vert, le bleu se tourne vers la matière, il est un ciel apprivoisé, le jour qui, cycliquement, régénère la vie végétale.

Marié au jaune ou à l'orange, le bleu acquiert toute sa faculté ascensionnelle, il est une virtualité d'apaisement et de résurrection. Il possède l'impartialité de l'idée, la pureté de l'esprit. Ces noces sont les plus mystiques et les plus amoureuses.

Kandinsky associe le bleu clair à la flûte, le bleu foncé au violoncelle, le jaune à une fanfare éclatante.

Deux ocres ensemble modulent un chant en sourdine, la calme après le tempête, la plénitude rare d'une pensée qui aurait atteint son but, ou qui accepterait ses limites. Nuit laiteuse, lueurs d'aube.

Ce colorisme spiritualisé a balayé le visage et le verbe. L'esprit et l'émotion s'y rejoignent. L'affirmation du geste pictural de Rothko y est souveraine, à tel point qu'elle réalise la visée d'universalité tant cherchée.

Technique

Au contact de Milton Avery, Rothko avait appris la rapidité d'exécution. Il

éprouvait du plaisir en peignant. Herbert Ferber dit qu'il "aimait la tension ou la vibration de la toile qu'il travaillait avec les brosses et chiffons.."

Ce qui rend surprenante la plainte exprimée : "Je déteste peindre ! ".

On entend souvent dire que Rothko tenait secret son travail ; d'où les difficultés pour restaurer ses toiles. En réalité, le secret n'est pas total car il se fit aider par des assistants et il ne peignait pas toujours complètement seul.

La saturation de la toile par le pigment en une surface monochrome crée le fond et lui donne son intensité. L'imprégnation est si poussée que fibres et couleur se confondent, si bien que la toile paraît dématérialisée, devenant une présence fluorescente. Diane Waldman explique : "C'est fondamentalement une technique d'aquarelle transposée en huile."

Une fois traité, le coton était tendu sur un châssis épais, dont les bords étaient recouverts. Ainsi, avec ses bords colorés, le tableau "se détache du mur et vient au-devant du spectateur " (Werner Haftmann) . L'encadrer serait le transformer en objet de musée, c'est-à-dire lui ôter sa nature méditative. Puis Rothko appliquait une quantité de légères couches de peintures, de fins glacis, les unes sur les autres. Les rectangles peints sur le fond ne le recouvrent pas totalement, le laissant entrevoir en certains endroits. De même, la couleur des rectangles peut apparaître dans le fond. Ce jeu sur la reprise et la transparence a pour effet d'éviter le géométrisme, il introduit un mouvement. Le mouvement se trouve également suggéré par l'aspect non lisse, non homogène de la forme-couleur, sur laquelle apparaissent les tracés dynamiques de la brosse et du chiffon. La frange d'une autre couleur, qui rayonne autour des formes, accentue la luminosité de l'ensemble.

Surface de méditation, le tableau semble émaner d'une source cachée de lumière. Rothko, en cela aussi, descend bien de Rembrandt.

http://vidal.genevieve.pagesperso-orange.fr/rothko/cnt_10.htm

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