Qui sont-ils ?

À l’image de l’astre qui les a guidés, leur apparition dans le Nouveau Testament est fugace. Les Mages « venus de l’Orient » se prosterner devant Jésus à Bethléem, reconnaissant en ce nouveau-né « le roi des juifs », n’apparaissent en effet que dans l’Évangile de Matthieu (2, 1-12). Et pourtant, ces mystérieux personnages ont considérablement marqué et influencé notre imaginaire : sarcophages, gravures, peintures, contes, folklore, jusqu’à la populaire « galette des rois » et sa fève…

Si le récit évangélique, lui, est très sobre, une multitude de traditions ont tenté de combler ce vide au fil des siècles. Suivant les sources, leur nombre varie entre deux, trois ou douze. Leur pays d’origine est aussi objet de questionnement : Chaldée ? Arabie ? Pour la majorité des Pères de l’Église, ils ont pris la route depuis la Perse, où les mages avaient un rôle religieux important. La célèbre mosaïque de Sant’Apollinare Nuovo à Ravenne les représentera d’ailleurs en habit persan.

« Le mot ”madjous” est le nom persan des responsables de la religion zoroastrienne de l’époque », indique le père Pierre Humblot, prêtre français qui a servi pendant des décennies dans le diocèse chaldéen de Téhéran. Selon L’Histoire syriaque de la Vierge, l’une des nombreuses réécritures de ce récit, l’étoile serait apparue en Perse la nuit même de la naissance de Jésus pendant la célébration d’une fête du feu. Un autre texte ancien, la Chronique de Zuqnin, datant du VIIIe siècle mais dont la rédaction en syriaque aurait commencé au IVe siècle, raconte que ces mages étaient douze, comme les Apôtres, et auraient fondé l’Église de Perse à leur retour de Bethléem. C’est l’Apôtre Thomas lui-même, en route pour l’Inde, qui les aurait baptisés et consacrés évêques… Leurs tombes seraient même en Iran, ainsi que l’a décrit Marco Polo dans son Livre des merveilles.

En Occident, la Tradition a voulu que les Mages soient trois, comme le nombre de leurs présents. Ce chiffre symbolisera par la suite les trois continents connus à l’époque – l’Europe, l’Asie et l’Afrique – et les âges de la vie – le vieillard, l’homme mûr, le jeune homme imberbe. Les prénoms de Gaspard, Melchior et Balthazar apparaissent pour la première fois dans un manuscrit du VIe siècle, sans que l’on en connaisse l’origine avec exactitude.

Sont-ils rois ?

Les premiers siècles chrétiens les représentent coiffés d’un bonnet phrygien, symbole, à l’époque, de l’exotisme oriental. Mais très vite, ils seront couronnés… Étaient-ils rois pour autant ? L’évangile de Matthieu ne l’indique pas. Mais cette idée est apparue dès le IIIe siècle avec Tertullien. Peut-être en raison de la richesse des présents qu’ils apportent : l’or, l’encens et la myrrhe (lire La Croix du 4 janvier 2014). Sans doute aussi en écho aux visions prophétiques du pèlerinage des peuples vers Jérusalem dans l’Ancien Testament, notamment au chapitre 60 du Livre d’Isaïe : « Les nations vont marcher vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton lever (…). Tous les gens de Saba viendront, ils apporteront de l’or et de l’encens. » Le psaume 72 est encore plus explicite : « Les rois de Tarsis et des îles enverront des présents, les rois de Saba et de Séva paieront le tribut, tous les rois se prosterneront devant lui. »

Très vite, ces explications se doublent d’une interprétation politique bien plus subtile, comme l’expliquent Éliane Burnet, docteur en esthétique, et Régis Burnet, historien du christianisme (1) : dans l’art paléochrétien, les Mages deviennent les précurseurs de l’empereur romain Constantin, et ses successeurs, venus se placer sous la royauté du Christ. Augustin reprend cette idée au Ve siècle pour théoriser un modèle politique appelé à une grande postérité : le détenteur de l’autorité est légitime pourvu qu’il soit chrétien et reconnaisse la soumission de son pouvoir temporel au pouvoir spirituel…

Aussi, après la chute de Rome, les empereurs d’Allemagne qui se veulent héritiers de l’Empire chrétien romain se mettront tout naturellement dans les pas des Rois mages. En 1164, leurs corps sont « découverts », intacts, à Milan. Frédéric Barberousse, qui menait des guerres en Italie, les confie à l’archevêque de Cologne. Ils sont désormais honorés comme les protecteurs de l’empire. Une grandiose cathédrale s’élève à partir de 1248, écrin de leurs reliques jusqu’à ce jour…

Que signifie leur visite à Bethléem ?

Des interprétations postérieures ont fait d’eux des sages et des savants, dont la science s’inclinera devant la connaissance de Dieu. Mais, rappellent Éliane Burnet et Régis Burnet, dans l’Antiquité et notamment à l’époque de Matthieu, les mages – sorciers, devins, magiciens… – ne sont pas bien vus. Mais précisément, l’évangéliste opère un renversement des valeurs : « Dieu confie sa connaissance à de vieux fous venus d’Orient tandis que les sages d’Israël massés à Jérusalem demeurent dans l’ignorance. »

Leur existence historique est incertaine. Ce qui est sûr, c’est que leur présence, au début de l’Évangile de Matthieu, fait écho à la mission que Jésus confie à ses disciples à la fin du livre : « Allez porter l’Évangile aux confins de la terre. » Seraient-ils une invention théologico-littéraire de Matthieu pour affirmer que le salut en Jésus-Christ ne se cantonne pas au peuple d’Israël, mais s’étend déjà, dès sa naissance, aux païens ? Au chapitre 8, Jésus évoque ceux qui viendront « du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham alors que les fils du Royaume » sont rejetés dans les ténèbres. N’est-ce pas déjà ce qui se passe ici ? « En eux a commencé ce qui devait se développer et s’étendre dans l’univers entier », écrit ainsi saint Augustin (Sermon 201). Tandis que Thomas d’Aquin y verra le signe que « nulle condition humaine n’est exclue du salut du Christ » (Somme III, Q. 36, art. 3).

Benoît XVI, qui avait fait des Mages le thème des JMJ de Cologne en 2005, a longuement médité sur ces « hommes au cœur inquiet ». Y voyant l’image de ces « chercheurs de Dieu »« de toutes les cultures et modes de pensée et de vie », qui se mettent en marche, s’efforçant de « reconnaître la vérité sur nous, sur Dieu et sur le monde ».

https://www.la-croix.com/Journal/Rois-mages-2018-01-06-1100903895

(1) Les Rois mages, hors-série Le Monde de la Bible – La Croix, 66 p., 10 €. (2) Les (Rois) mages, sous la direction de Jean-Marc Vercruysse, Éd. Artois Presses université, 182 p., 18 €.

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Ni trois, ni rois... La véritable histoire des Rois mages