http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/2020/01/04/balthazar-et-les-autres-le-mage-africain-de-lepiphanie/
Les rois mages : un tiercé dans le désordre ? Mais une fois l'effort fait pour se souvenir des prénoms des trois rois-mages, qui se souvient de ce que cette tradition chrétienne doit à l'Afrique ?
« Quand ils aperçurent l’étoile, ils furent saisis d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. »
C’est dans l’Evangile selon Saint-Matthieu qu’apparaissent les figures des rois mages venus présenter leurs hommages à Jésus qui vient de naître. Chacun est associé à un présent… mais en réalité, et contrairement à une idée reçue, les présents précèdent les rois mages. Ou plus exactement, l’identification des rois mages que l’iconographie chrétienne a rendu « évidente » à travers les crèches à travers le monde s’avère tout sauf évidente. Elle est le fruit d’une construction bâtie au sein de la tradition chrétienne au fil des siècles. Et l’Afrique y occupe une part souvent sous-estimée à différents titres.
En premier lieu, c’est en Afrique qu’est pensé le statut « royal » des rois mages. Initialement, les rois mages sont interprétés comme des sages (en grec magoï) ; c’est le théologien Tertullien qui est à l’origine de la qualification de ces sages comme des rois. Tertullien est connu pour être un théologien latin (né vers 150-160 et décédé en 220) ; mais ce qui est plus souvent oublié c’est qu’il n’est pas Romain mais Berbère : il est le plus célèbre théologien de Carthage (actuelle Tunisie), bien avant le célèbre Augustin d’Hippone (354-430). C’est donc à un théologien carthaginois que l’on doit la qualification des sages en rois (mages). Et c’est Origène (né vers 185 et mort vers 253), théologien et Père de l’Église, qui a établi – sinon « stabilisé » – à 3 le nombre de rois mages. Il complète ainsi le premier chantier « d’identification » de Tertullien. Origène entretient lui aussi un lien avec l’Afrique : il est originaire d’Alexandrie (Égypte) où il découvre le christianisme, avant de se rendre en Grèce et en Palestine.
Blason imaginaire des rois mages. Dans cette version, c’est Melchior qui relève du royaume de Saba et qui fait référence à l’Afrique. Source : Armorial de Wernigerode [BSB-Hss Cod.icon. 308 n]
Cependant, les représentations iconographiques tardent à figurer Balthazar comme un Africain. Durant le Moyen-Âge occidental, les rois mages sont traditionnellement peints comme des Occidentaux. C’est à partir des XVe et XVIe siècles que Balthazar est représenté sous les traits d’un Africain, à l’aube de la colonisation de l’Amérique et de la traite esclavagiste Atlantique. Cette évolution est là encore le fruit de son époque : à la Renaissance, Balthazar l’Africain devient l’icône de l’universalisme chrétien – antérieurement et en opposition avec les thèses de la controverse de Valladolid (1550-1551) qui, en prétendant épargner les Amérindiens du travail forcé, a eu pour conséquence de permettre la généralisation du recours à l’esclavage africain dans les colonies espagnoles et portugaises d’Amérique.
Depuis le XVIe siècle, dans l’imaginaire collectif, un roi mage représente l’Afrique. L’identité de Balthazar s’est stabilisée dans la tradition chrétienne, entre Tertullien et le XVIe siècle. Son origine se confond souvent avec les légendes chrétiennes qui entourent le royaume d’Aksoum, le royaume du Prêtre Jean et tous les récits qui accompagnent les mondes chrétiens de la Corne de l’Afrique, de l’autre côté de la Mer Rouge. Mais malgré cela, le vrai problème… c’est qu’on peine toujours (depuis Bède la Vénérable) à retrouver le prénom de chaque roi mage.
=========================================================https://www.amis-musee-abbeville.fr/2015/01/12/l-%C5%93uvre-du-mois-l-adoration-des-mages/
Iconographie des Rois Mages
L’évangile de Matthieu parle de l’adoration des Mages mais sans indiquer leurs noms, ni leur âge, ni leur provenance.
La première représentation connue date de la première moitié du IVe s, sur un sarcophage romain montrant 3 personnages, habillés de pantalons et chemises, ressemblant à des Perses.
Pourquoi sont-ils 3 ? Parce qu’ils ont 3 cadeaux (or, myrrhe et encens), 3 étant un chiffre symbolique.
La première mention de leurs noms apparaît dans un texte (Saint Pierre de Corbie) de la seconde moitié du VIIIe s : Melchior, Balthazar et Gaspard.
Au milieu du VIe s, sur une mosaïque de St Apollinaire de Ravenne, les mages sont représentés avec un bonnet phrygien, des pantalons et une veste.
Toujours au VIe s, ils ressemblent à l’empereur triomphant, comme Justinien, dans la procession lors de la cérémonie du triomphe des empereurs.
Vers 850, on trouve dans une initiale D enluminée, 3 rois mages et leurs cadeaux, représentant la rencontre avec Hérode.
Au Xe s on voit des rois, et non plus des mages, venus d’orient avec manteau ample et cadeaux. A la même époque le manuscrit Codex aureus présente différentes scènes de la vie des mages avec le Christ. Ils ressemblent aux rois, comme Hérode, ils portent les mêmes habits.
Au XIIe s, à Autun, l’accent est mis sur l’adoration des mages avec le symbole des différents âges : le plus âgé avec son cadeau, à genoux devant l’enfant Jésus, derrière le suivant montre l’étoile, ensuite le plus jeune écoute l’explication du sens de l’étoile. Un premier âge s'ajoute avec l’enfant Jésus qui représente l’enfance.
Le tympan de l’église de Vézelay montre la Vierge avec les mages, de même dans la cathédrale de Laon.
Au XIIIe s, un diptyque d’ivoire avec des mages représentant là aussi les différents âges de la vie avec l’étoile, est conservé au Louvre.
Au XIVe s, on les retrouve dans la cathédrale de Strasbourg.
Dans les Très riches heures du duc de Berry des ils sont représentés comme des musulmans orientaux avec des turbans, des vêtements riches, exotiques pour l’époque.
Au XIIe s toujours, a lieu la translation des reliques des rois mages dans la cathédrale de Cologne, dans la célèbre Chasse des Rois Mages.
L’iconographie devient alors de plus en plus riche, avec le jubé de Chartres (vers 1230), le portail de la Vierge à la cathédrale d’Amiens (1220) où ils sont suivis du roi Hérode, ce qui est rare, sous forme de statues colonnes, et Notre dame de Paris (1250).
En 1440, apparaît en Allemagne un roi noir africain pour signifier que le message du Christ s’étend à toutes les parties du monde.
Joseph ne se voit qu’au XVe s à leurs côtés.
Des retables entiers sont consacrés aux rois mages à partir de cette époque. A la fin du Moyen Age, une architecture les entoure, comme une église ou des ruines (Botticelli, 1475).
Cette iconographie très riche, montre l’évolution de la diversité de la représentation des rois Mages, ressemblant à des romains, des perses, des empereurs romains, puis à des rois, des musulmans orientaux, des mages venus d’orient. Le mage noir apparaît tardivement.
L’ensemble des représentations met l’accent sur la symbolique de l’étoile, des cadeaux (or, myrrhe, encens), du chiffre 3, des âges de la vie.
=========================================================================
Comprendre
Les (Rois) mages
Comprendre. Célébrés vers le 6 janvier, ces personnages énigmatiques, entre mémoire biblique et traditions plus tardives, ont inspiré une grande piété populaire.
Lecture en 4 min.
Qui sont-ils ?
À l’image de l’astre qui les a guidés, leur apparition dans le Nouveau Testament est fugace. Les Mages « venus de l’Orient » se prosterner devant Jésus à Bethléem, reconnaissant en ce nouveau-né « le roi des juifs », n’apparaissent en effet que dans l’Évangile de Matthieu (2, 1-12). Et pourtant, ces mystérieux personnages ont considérablement marqué et influencé notre imaginaire : sarcophages, gravures, peintures, contes, folklore, jusqu’à la populaire « galette des rois » et sa fève…
Si le récit évangélique, lui, est très sobre, une multitude de traditions ont tenté de combler ce vide au fil des siècles. Suivant les sources, leur nombre varie entre deux, trois ou douze. Leur pays d’origine est aussi objet de questionnement : Chaldée ? Arabie ? Pour la majorité des Pères de l’Église, ils ont pris la route depuis la Perse, où les mages avaient un rôle religieux important. La célèbre mosaïque de Sant’Apollinare Nuovo à Ravenne les représentera d’ailleurs en habit persan.
« Le mot ”madjous” est le nom persan des responsables de la religion zoroastrienne de l’époque », indique le père Pierre Humblot, prêtre français qui a servi pendant des décennies dans le diocèse chaldéen de Téhéran. Selon L’Histoire syriaque de la Vierge, l’une des nombreuses réécritures de ce récit, l’étoile serait apparue en Perse la nuit même de la naissance de Jésus pendant la célébration d’une fête du feu. Un autre texte ancien, la Chronique de Zuqnin, datant du VIIIe siècle mais dont la rédaction en syriaque aurait commencé au IVe siècle, raconte que ces mages étaient douze, comme les Apôtres, et auraient fondé l’Église de Perse à leur retour de Bethléem. C’est l’Apôtre Thomas lui-même, en route pour l’Inde, qui les aurait baptisés et consacrés évêques… Leurs tombes seraient même en Iran, ainsi que l’a décrit Marco Polo dans son Livre des merveilles.
En Occident, la Tradition a voulu que les Mages soient trois, comme le nombre de leurs présents. Ce chiffre symbolisera par la suite les trois continents connus à l’époque – l’Europe, l’Asie et l’Afrique – et les âges de la vie – le vieillard, l’homme mûr, le jeune homme imberbe. Les prénoms de Gaspard, Melchior et Balthazar apparaissent pour la première fois dans un manuscrit du VIe siècle, sans que l’on en connaisse l’origine avec exactitude.
Sont-ils rois ?
Les premiers siècles chrétiens les représentent coiffés d’un bonnet phrygien, symbole, à l’époque, de l’exotisme oriental. Mais très vite, ils seront couronnés… Étaient-ils rois pour autant ? L’évangile de Matthieu ne l’indique pas. Mais cette idée est apparue dès le IIIe siècle avec Tertullien. Peut-être en raison de la richesse des présents qu’ils apportent : l’or, l’encens et la myrrhe (lire La Croix du 4 janvier 2014). Sans doute aussi en écho aux visions prophétiques du pèlerinage des peuples vers Jérusalem dans l’Ancien Testament, notamment au chapitre 60 du Livre d’Isaïe : « Les nations vont marcher vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton lever (…). Tous les gens de Saba viendront, ils apporteront de l’or et de l’encens. » Le psaume 72 est encore plus explicite : « Les rois de Tarsis et des îles enverront des présents, les rois de Saba et de Séva paieront le tribut, tous les rois se prosterneront devant lui. »
Très vite, ces explications se doublent d’une interprétation politique bien plus subtile, comme l’expliquent Éliane Burnet, docteur en esthétique, et Régis Burnet, historien du christianisme (1) : dans l’art paléochrétien, les Mages deviennent les précurseurs de l’empereur romain Constantin, et ses successeurs, venus se placer sous la royauté du Christ. Augustin reprend cette idée au Ve siècle pour théoriser un modèle politique appelé à une grande postérité : le détenteur de l’autorité est légitime pourvu qu’il soit chrétien et reconnaisse la soumission de son pouvoir temporel au pouvoir spirituel…
Aussi, après la chute de Rome, les empereurs d’Allemagne qui se veulent héritiers de l’Empire chrétien romain se mettront tout naturellement dans les pas des Rois mages. En 1164, leurs corps sont « découverts », intacts, à Milan. Frédéric Barberousse, qui menait des guerres en Italie, les confie à l’archevêque de Cologne. Ils sont désormais honorés comme les protecteurs de l’empire. Une grandiose cathédrale s’élève à partir de 1248, écrin de leurs reliques jusqu’à ce jour…
Que signifie leur visite à Bethléem ?
Des interprétations postérieures ont fait d’eux des sages et des savants, dont la science s’inclinera devant la connaissance de Dieu. Mais, rappellent Éliane Burnet et Régis Burnet, dans l’Antiquité et notamment à l’époque de Matthieu, les mages – sorciers, devins, magiciens… – ne sont pas bien vus. Mais précisément, l’évangéliste opère un renversement des valeurs : « Dieu confie sa connaissance à de vieux fous venus d’Orient tandis que les sages d’Israël massés à Jérusalem demeurent dans l’ignorance. »
Leur existence historique est incertaine. Ce qui est sûr, c’est que leur présence, au début de l’Évangile de Matthieu, fait écho à la mission que Jésus confie à ses disciples à la fin du livre : « Allez porter l’Évangile aux confins de la terre. » Seraient-ils une invention théologico-littéraire de Matthieu pour affirmer que le salut en Jésus-Christ ne se cantonne pas au peuple d’Israël, mais s’étend déjà, dès sa naissance, aux païens ? Au chapitre 8, Jésus évoque ceux qui viendront « du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham alors que les fils du Royaume » sont rejetés dans les ténèbres. N’est-ce pas déjà ce qui se passe ici ? « En eux a commencé ce qui devait se développer et s’étendre dans l’univers entier », écrit ainsi saint Augustin (Sermon 201). Tandis que Thomas d’Aquin y verra le signe que « nulle condition humaine n’est exclue du salut du Christ » (Somme III, Q. 36, art. 3).
Benoît XVI, qui avait fait des Mages le thème des JMJ de Cologne en 2005, a longuement médité sur ces « hommes au cœur inquiet ». Y voyant l’image de ces « chercheurs de Dieu », « de toutes les cultures et modes de pensée et de vie », qui se mettent en marche, s’efforçant de « reconnaître la vérité sur nous, sur Dieu et sur le monde ».
(1) Les Rois mages, hors-série Le Monde de la Bible – La Croix, 66 p., 10 €. (2) Les (Rois) mages, sous la direction de Jean-Marc Vercruysse, Éd. Artois Presses université, 182 p., 18 €.
=============================================================
Niciun comentariu:
Trimiteți un comentariu