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Après la guerre, les Polonais, qui y étaient très fortement enracinés, furent expulsés et s’installèrent en Pologne. Mais même actuellement, 75 ans après la fin de la guerre, de nombreuses personnes ressentent une forte nostalgie quand elles évoquent les villes emblématiques comme Lemberg/Lvov/Lviv ou Wilna/Vilno/Vilnius[2].
Terre de poètes
Cette partie orientale du pays avait donné à la Pologne de grands poètes. Ainsi Adam Mickiewicz[3], le grand poète romantique, né sur le territoire de l’actuelle Biélorussie et qui, étudiant, vécut à Vilno, écrivait dans son chef d’œuvre le poème épique Messire Thaddée, que les écoliers polonais continuent d’apprendre par cœur : Ô Lituanie, ma patrie…
De même Czeslaw Milosz, considéré comme le plus grand poète polonais du XXe siècle, est né le 30 juin 1911 dans le village lituanien de Szetejnie[4] et revendiquait cette double appartenance polonaise et lituanienne. En 1980, en recevant son prix Nobel, il constatait :
« Il est bon de naître dans un petit pays où la terre est humaine parce qu’elle est à la mesure de l’homme, où des langues et des religions différentes ont coexisté au cours des siècles. Je pense à la Lituanie, terre de mythes et de poésie. »
Son enfance et sa jeunesse étaient étroitement liées à ces terres où sa famille était enracinée depuis des siècles. Lorsqu’il était adolescent, ses parents s’installèrent à Vilno où il put côtoyer une importante communauté juive. Il pourra profiter alors pleinement de cet enrichissant mélange de langues et de cultures qui le formera.
En 1929 Czeslaw Milosz entame ses études de droit à l’université de Vilno, mais très rapidement il se tourne vers la poésie, et à partir de 1930, il publie régulièrement ses vers. Deux recueils de cette période ont été remarqués : Poèmes sur le temps figé de 1933 et Trois hivers de 1936. À l’époque, ses opinions politiques étaient plutôt à gauche et il faisait partie du groupe littéraire d’avant-garde Żagary (Les flambeaux) qui réunissait plusieurs jeunes auteurs, représentants du courant catastrophiste, tant il était évident pour eux que l’Europe aura bientôt à affronter de graves difficultés.
Dans ces années il eut l’occasion de venir en France où il fit connaissance avec son oncle éloigné, le poète français Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz[5] qui l’accueillit avec beaucoup de cordialité et qui indéniablement l’influença. De cette époque date son amour du français qu’il parlait très bien ; avec le temps il deviendra aussi un traducteur accompli, en faisant découvrir aux lecteurs français plusieurs auteurs polonais.
En septembre 1939 la Pologne connut son quatrième partage à la suite de la signature du pacte Ribbentrop-Molotov. Une partie du territoire était alors occupée par l’armée allemande, tandis que « les kresy » se retrouvaient tout d’abord sous la domination soviétique et à partir de l’été 1941, toute la région connaîtra l’occupation nazie.
Justes
Le poète se trouvait alors à Varsovie, tandis que plusieurs membres de sa famille et surtout son frère cadet, Andrzej, étaient restés à Vilno où ils rejoignirent les rangs de l’Armée de l’Intérieur. À l’époque, Andrzej Milosz, né en 1917, était un jeune homme très sportif, un excellent alpiniste, capable de piloter un avion sportif et de sauter en parachute. A Vilno, ses activités clandestines allaient dans deux directions : au début de la guerre, avant l’attaque de l’Union Soviétique par l’Allemagne, il organisait la fuite d’officiers polonais internés en Lituanie, qui ensuite, en passant par la Suède, rejoignaient la France où l’armée polonaise en exil était organisée par le général Sikorski. Lorsque les Allemands occupèrent toute la Lituanie, Andrzej aida les Juifs à quitter le ghetto, crée en été 1941. Il avait loué une maison, bien située dans la ville, où les Juifs étaient cachés pour rejoindre des partisans dans la grande forêt Rudnicka, éloignée d’une trentaine de kilomètres de Vilno. De son côté, Czeslaw Milosz a aussi rallié la résistance, et à partir de 1942 s’engagea dans les rangs du Comité d’Aide aux Juifs, connu sous le cryptonyme « Żegota ». Le 25 juillet 1989, les frères Milosz seront reconnus par le mémorial Yad Vashem comme Justes parmi les nations.
Durant les années de guerre, Czeslaw Milosz continuait d’écrire, de traduire, et ses poèmes paraissaient dans les publications de la résistance.
Au printemps 1943 il est témoin de la révolte du ghetto, et, même si à l’époque il cachait dans son appartement des personnes qui ont pu s’échapper du brasier, il sentait déjà que la plupart des Polonais restaient indifférents à la tragédie qui se jouait de l’autre côté du mur. Avec le temps il développera et précisera sa pensée.
Pendant que le ghetto brûle
Nous voyons ses sentiments ambigus dans son poème Campo de’ Fiori[6] écrit au printemps 1943, lorsque le ghetto brûlait encore. La genèse de ce texte, publié dans la presse clandestine, est intéressante ; pendant la semaine pascale de 1943, Milosz se trouvait dans un tramway qui s’était arrêté sur la place Krasinski devant le mur du ghetto. On pouvait entendre des coups de feu, des maisons en train de brûler formaient une fournaise. Or sur la place, il y avait un manège qui tournait, et les gens semblaient s’y amuser. Au moment de sa publication, ce poème fut ressenti comme une violente protestation, mais des années plus tard, Milosz lui-même le qualifiera d’amoral, car l’anéantissement de milliers de gens y était décrit par un observateur trop neutre, la comparaison entre le bûcher de Rome de l’époque de la Renaissance et les incendies méthodiquement allumés par des bourreaux nazis, apparaissant à son auteur trop littéraire et recherchée.
Je te vis, Campo de’ Fiori,Un printemps à Varsovie.Près des gaies balançoiresLa vive mélodie faisait taireLes coups de canon au ghetto ;Très haut s’envolaient les couples,Jusqu’au milieu du ciel clair…Le vent des maisons en feuLevait les robes des jeunes fillesEt riaient les foules insouciantesDu beau dimanche de Varsovie. (…)Moi, je me disais alorsCombien qui périt reste seulEt qu’au moment où GiordanoMontait au sommet du bûcherS’était tue la langue humaine…Mais après des siècles entiers,Le plus grand des Campo de’ FioriVerra le bûcher de révolteJailli des paroles du poète.Avril 1943[7]
En 1945 après l’installation du pouvoir communiste en Pologne, il semblait tout d’abord que Czeslaw Milosz rejoindrait le camp des vainqueurs. On lui proposa un poste diplomatique à Washington, puis à Paris, et il accepta d’être le porte-parole du camp politique auquel il ne croyait plus, qu’il jugeait même criminel.
Exil à Paris
En 1951 Il mit fin à ces contradictions et décida de ne plus rentrer en Pologne. Il demanda alors l’asile politique en France où il passera plus de dix ans. Dans sa patrie, il était alors interdit de prononcer son nom, ses livres ont été retirés de toutes les bibliothèques, et pendant une trentaine d’années, il cessa d’exister de l’autre côté du « rideau de fer ». D’ailleurs à l’époque plusieurs écrivains l’ont traité de « traître ».
En 1953 il publie son essai La pensée captive dans lequel il analyse les mécanismes de la propagande dans les pays totalitaires de l’Europe de l’Est où de nombreux intellectuels épousaient les idées du parti totalitaire au pouvoir et trouvaient toutes les excuses aux persécutions politiques, pensant qu’elles étaient nécessaires à l’avènement de l’ «avenir radieux» pour l’humanité.
Mais en devenant un réfugié politique, Czeslaw Milosz a retrouvé une nouvelle voix comme s’il s’était reconcilié avec lui-même. À partir de 1960 il s’installe aux Etats-Unis où pendant des années il enseignera les littératures polonaise et russe à l’université Berkeley de Californie. Il a été aussi professeur à l’Université de Harvard. Ce travail d’enseignant l’a presque forcé à écrire une Histoire de la littérature polonaise, traduite en plusieurs langues, dont le français.
Européen
Ayant perdu sa Lituanie natale et la Pologne, le pays de sa langue maternelle, Milosz se sent surtout un Européen, héritier de la riche culture :
« Je suis la voix d’une autre Europe qui garde la mémoire de la civilisation méditerranéenne qui a été toujours présente dans notre religion, notre philosophie, nos monuments, dans le langage, la peinture et l’architecture. J’ai moi-même grandi dans une ville où le baroque prédominait dans les églises catholiques romaines du Nord, et j’ai appris à l’école à réciter Horace et Ovide. C’est pourquoi j’ai senti que j’avais le droit de penser que l’Europe était ma patrie. »
Quand le poète a choisi la vie d’émigré, il ne peut pas supposer que les changements politiques lui permettront un jour de retourner dans sa patrie. À vrai dire, il n’était jamais totalement absent, car pendant cette période, les mouvements dissidents apparaissent avec leurs organes de presse clandestins, les fameux samizdat. Ainsi les textes de Milosz trouvaient toujours des lecteurs.
Solidarność
Durant ces trente ans, la Pologne a connu plusieurs mouvements sociaux, certains très violents, mais le parti communiste parvenait toujours à garder le pouvoir. Mais dans les chantiers navals de Gdansk, en été 1980, éclata une grève massive qui aboutit à la naissance du syndicat Solidarność qui sera reconnu par le pouvoir communiste affaibli par une profonde crise économique, sociale et morale. En quelques semaines 10 millions de Polonais (sur 31 millions d’habitants du pays !) rejoindront ce syndicat. Solidarność obtient l’appui des intellectuels dissidents sous la forme d’un comité de soutien, connu sous le sigle KOR (en polonais Komitet Obrony Robotnikow[8])
Commence alors une sorte de compte à rebours de la chute du régime communiste en Pologne, comme d’ailleurs dans les autres pays d’Europe de l’Est. Ce mouvement prendra 9 ans, pendant lesquels l’opposition se renforcera et cela malgré la pression constante de la part du gouvernement communiste qui n’hésitera pas à décréter en décembre 1981 l’état d’urgence accompagné d’arrestations massives.
Même l’Académie Nobel semblait appuyer cette vague de protestation en décernant en décembre 1980 à Czeslaw Milosz le prix Nobel de Littérature, ce qui était ressenti par l’opinion publique comme un désaveu cinglant des régimes totalitaires de l’Europe orientale, car depuis des années le poète soutenait publiquement les mouvements dissidents de l’Europe de l’Est.
Les académiciens Nobel n’hésitèrent pas alors à s’engager aux côtés de ce mouvement de protestation, et en 1983 ils attribuèrent le prix Nobel de la paix à Lech Walesa, président-fondateur du syndicat Solidarność, alors assigné à résidence[9].
En 1981 Czeslaw Milosz se rend en Pologne après 30 ans d’absence ; à partir de ce moment, les interdictions qui touchaient ses œuvres seront levées peu à peu. Il put alors devenir un témoin actif des changements historiques dans sa patrie. Pendant ses déplacements, il était étroitement surveillé, mais les services de sécurité n’intervenaient pas, craignant un scandale, si jamais ils s’attaquaient à cette personnalité connue dans le monde.
Malgré des craintes tout au long de l’année 1989, le passage vers le régime démocratique a pu s’effectuer en Pologne tout à fait calmement. Des pourparlers entre les représentants du gouvernement communiste et l’opposition démocratique ont abouti au départ des communistes ; le parti ouvrier unifié polonais est dissous en janvier 1990 et en décembre 1990, dans les premières élections libres, Lech Walesa est élu au poste de président de la République de Pologne.
Czeslaw Milosz fut un témoin direct de tous ces changements. À partir de 1989 il venait très régulièrement en Pologne, en 1992 il put même se rendre en Lituanie, devenue indépendante en 1991 où il a reçu une citoyenneté honoraire du pays.
En 1993 le poète décida de s’installer définitivement à Cracovie, car il disait que cette ville lui rappelait Vilno de sa jeunesse. Il y est mort à l’âge de 93 ans le 27 août 2004.
Cet homme, qui a vécu dans plusieurs pays et qui parlait plusieurs langues, a laissé une importante œuvre en vers et en prose. Né aux confins de l’Europe aux multiples tragédies, il nous permet de mieux comprendre les contradictions de cette région écartelée depuis si longtemps. AS♦
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