Albert MARQUET, Jardin au Pyla
Albert MARQUET (1875-1947), Jardin au Pyla, 1935, huile sur toile.
Pour cette peinture, nous vous proposons deux formats de découverte : par l'écoute de l'audiodescription en cliquant sur le lien en dessous de l'image de l'œuvre ou par la lecture de la notice ci-dessous !
Né le 26 mars 1875, à Bordeaux, Albert Marquet est issu d’une famille modeste du Teich. Dès l’enfance Marquet dessine. À l’école il est mauvais élève. Timide, il souffre de son infirmité : un pied-bot qui le différencie des autres enfants. Son maître le prenant pour un sot, il se réfugie sur le port de Bordeaux pour dessiner. L’été, ses vacances se passent sur le Bassin d’Arcachon, dans la famille de sa mère, où il dessine, garde les vaches et vit comme un paysan. Sa mère est son seul soutien. Elle vend un lopin de terre lui appartenant sur le Bassin d’Arcachon, un bout de maison au Teich afin d’acheter un commerce de broderie et de permettre à son fils de suivre les cours des Arts Décoratifs à Paris. Dès 1892, Marquet rencontre Henri Matisse (1869-1954) avec lequel il se lie d’amitié.
Il reste quelques témoignages de sa venue dans la région bordelaise. Dans une lettre datée de septembre 1921, il écrit à Matisse : "Je viens de faire un voyage en auto, Paris, Bordeaux et Arcachon. Beaucoup d'émotions, pas d'accidents sérieux, ni de pannes, quelques crevaisons en traversant la Creuse. Je suis enchanté du voyage et de la Ford qui marche merveilleusement." Marquet vient en fait de passer son permis de conduire.
Aux lieux de villégiatures, aux loisirs balnéaires, Marquet préfère généralement les sites industriels, les activités portuaires, de commerce et de pêche. Le peintre est toujours en partance mais lorsqu’il installe son chevalet au Pyla, il est chez lui. Dans sa jeunesse, Il n’a créé que cinq œuvres arcachonnaises dont Pins au Pyla qui date de 1895 et qu’il conservera toute sa vie.
En août 1935, Marquet et sa femme écrivent à Matisse, au dos d'une carte postale de « La Côte d’argent – Pilat plage » : « Il fait beau et frais sur le Bassin d'Arcachon. Si tu viens y faire un tour, tu me trouveras Villa Robinson à Pyla sur mer. Nos meilleures amitiés ainsi qu'à ta femme. »
Au cours de cet été 1935, lors d’un unique séjour prolongé, Marquet crée une trentaine d’œuvres dont Jardin au Pyla. Cette vue affronte la mer depuis le jardin. Le peintre regarde vers le large et d'un œil juste compose avec le réel. Il choisit son champ de vision. Le paysage de bord de mer de Marquet est d'ordinaire composé par un premier plan qui fait écran, pouvant occuper jusqu'au tiers inférieur de la toile ; l'horizon est fermé par un arrière plan lui aussi parallèle au plan de la toile. Ici, la profondeur spatiale est suggérée par l’orchestration des plans. Un sentier sous les pins maritimes, entouré de verdure descend vers l’océan longé par une barrière « bordelaise » en bois formant une oblique. Le soleil traverse les branches dansantes pour éclairer par taches claires, les troncs sombres des arbres et le sable. Au-delà, s’étend l’océan fluide et quasi transparent.
La vie est suggérée par quelques détails, une femme en robe longue d'été coiffée d'un chapeau de paille, observe de jeunes baigneurs. Une embarcation se balance au mouillage, un voilier glisse sur l’eau. Chaque élément est simplifié pour s'intégrer dans la composition volontairement dépouillée de la mise en scène. Un bleu turquoise très clair se fond avec la couleur du ciel mais l’horizon est marqué par la grande horizontale du bassin plus sombre. Il en ressort un sentiment de bien-être lié aux vacances, de bonheur paisible, d’harmonie et d’équilibre. Marquet observe puis recrée la réalité telle que son regard l'a perçue, telle que sa mémoire immédiate l'a enregistrée. La mer est là, frontale et occupe la place d'honneur parmi la succession des plans qui découpent l'espace de la toile. Il offre une véritable incursion au cœur de l'image.
Par ailleurs, Marquet organise l'espace en plans successifs auxquels s'ajoute une construction colorée. George Besson explique qu'un tableau de Marquet est "un condensé significatif de lignes, de couleurs et d'effets. "
Claude Roger-Marx rapporte que "tirant d'un seul coup ces grandes verticales que sont les mâts, les réverbères, les cheminées ou les arêtes des immeubles, ces horizontales ou ces diagonales que forment les ponts, les quais, les trottoirs... Marquet dessine avec son pinceau chargé de couleur. Du premier plan jusqu'au dernier, cet œil de myope perçoit les plus subtiles analogies entre les valeurs, entre les tons. Certains paysages presque monochromes – où des gris, des noirs, des blancs, des ocres, des roses saumonés suffisent à créer la plus puissante orchestration […] – montrent la certitude avec laquelle sont discriminées les nuances les plus voisines." (Albert Marquet, 1948)
Dans un paysage de Marquet, tout est dit avec une économie de moyens. À son tour, Véronique Alemany explique : " tout est à sa place, tout est suffisant, le peu est indispensable. Marquet, homme discret et peu bavard, est un peintre du réel tout en étant minimaliste et étranger au réalisme optique ; il voit au-delà des apparences éprouvant pour son sujet d'inspiration une sympathie intellectuelle et affective. " (2008)
Marcelle Marquet témoigne : « Il fallait que rien ne s'interposât entre lui et la part du monde dont il prenait possession, que rien ne vînt arrêter ou fausser l'espèce de dialogue dont il tirait son enrichissement. » ; « Qu’est-ce qui constituait l’essentiel pour Marquet ? Avoir des toiles, des couleurs, des pinceaux, de la tranquillité et une fenêtre avec la vue, c’est-à-dire les conditions de s’exprimer. » (Marquet, 1951)
Marquet privilégie les formes épurées japonisantes. Le 18 juillet 1915, Matisse écrit à Marquet dans une lettre au Bassin d'Arcachon : « Mon cher Marquet, je ne suis pas loin du Teich. Quel beau pays que le Bassin d'Arcachon, tu ne m'avais rien dit vieux cachotier (je dis ça pour rire car je sais que tu l'estimais beaucoup, sans en parler souvent). C'est tout à fait le Japon des estampes. Je me suis décidé de venir y passer avec les trois enfants une dizaine de jours, délicieux. »
Les paysages maritimes de Marquet semblent conserver l'empreinte subtile des visions d'Hokusai dans l'audace novatrice de certaines compositions et dans leur luminosité singulière. À Paris, dans ses années de jeunesse au côté de Matisse, il est sensible aux expositions d'estampes japonaises. Il est fort probable qu'il ait puisé auprès de Gustave Moreau et de ses condisciples des références directes à Hokusai. Ses emprunts ne sont jamais des reprises pures et simples. Les propos d'Henri Matisse, rapportés dans un entretien donné au Point en décembre 1943 confortent cette idée : « Ce que je peux en dire c'est que lorsque je vois Hokusai, je pense à notre Marquet - et vice versa - je n'entends pas imitation d'Hokusai mais similitudes. » Ces aspirations communes s'appuient sur des principes : les paysages maritimes, la vue plongeante projetant dans la partie inférieure du tableau un premier plan abaissé, la perspective multipliant les points de vue d'un même espace, l'utilisation d'une diagonale comme vecteur et la ligne de force conférant à l'image une profondeur de champ.
Albert Marquet (Bordeaux, 1875 - Paris, 1947), Le Pont-Neuf, la nuit, 1937, huile sur toile. Dépôt du Musée national d’art moderne/Centre de création industrielle, Centre Pompidou, 2020.
Paris, la Seine et ses ponts constituent pour Albert Marquet le motif d’infinies variations. Le peintre les immortalise dans des séries puissantes, tantôt sous la neige, tantôt dans la brume. Les paysages nocturnes sont beaucoup plus rares dans sa production. C’est ce précieux exemple que l’on peut observer ici. Comme à son habitude Marquet construit le tableau à partir de lignes de forces simples, dont la diagonale nous mène de la Samaritaine illuminée au début du Quai de Conti. Une symphonie de bruns et de noirs est traversée par les illuminations multicolores de l’éclairage artificiel. Les enseignes lumineuses, posées de façon radicale, comme des extraits de couleurs pures, sont une ode au métier du peintre. L’artiste soumet l’ensemble de sa vision du monde aux trois couleurs primaires : le rouge, le jaune et le bleu.
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